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138 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
Richard Simon ne suit que son génie et n'imite personne. Certes,<br />
il est curieux des choses juives; il nous parle souvent dans ses<br />
lettres d'un obscur marchand de Pignerol, Jona Salvador (1)<br />
et n'hésitera pas à lancer à sa demande son généreux Factum<br />
pour les Juifs de Metz (1670); il ne craint pas de fréquenter de<br />
jeunes marranes de Bordeaux venus étudier à Paris (2). Mais sa<br />
traduction des Cérémonies et coutumes des Juifs de Léon de<br />
Modène montre une belle assurance contre les gloses rabbiniques.<br />
Il connaît La Peyrère, mais ne lui doit que le souvenir d'une<br />
plaisante répartie (3). Quand il entre à l'Oratoire en 1662, le<br />
Père Jean Morin est mort depuis trois ans et son enseignement<br />
n'est pas resté assez vivant pour éviter à son successeur maints<br />
désagréments. Mais l'Oratoire lui donne davantage, à savoir le<br />
loisir et les richesses de la bibliothèque de la rue Saint-Honoré :<br />
c'est là qu'il se forme au contact des livres moins menteurs que<br />
les hommes pour ceux qui savent lire (4). Cette formation aride<br />
et solitaire développe en lui une curieuse indépendance d'esprit,<br />
un solide mépris des prétendues autorités, une confiance sans<br />
limites dans l'exercice de sa raison. De sa cellule de la rue Saint-<br />
Honoré, l'Oratorien communiait sans le savoir avec le solitaire<br />
de la Haye, dans sa chambre du quai silencieux. Une même vie<br />
présume quelque parenté d'esprit et ne laisse pas de la fortifier.<br />
Spinoza et Richard Simon auront le même orgueil des cher<br />
cheurs solitaires, les mêmes déboires de novateurs, les mêmes<br />
réussites contestées. Est-il étonnant que, sur un même terrain,<br />
ils se soient quelquefois rencontrés?<br />
Mais cette rencontre, de la part de Richard Simon, fut souvent<br />
volontaire et il faut la légèreté de Renan pour le nier (5). Très<br />
tôt, Richard Simon a connu les thèses du Tractatus, que ce<br />
soit par l'intermédiaire de son ami Justel dont les nombreux<br />
manuscrits sacrés l'attiraient, ou par son compatriote Huet qui,<br />
attelé à une même tâche, raconte sur lui de curieuses anecdotes (6)<br />
(1) Cf. Margival, op. cil. (p. 34).<br />
(2) Lettres choisies (I, p. 97 sq.).<br />
3) Ibid., II, p. 5 sq.<br />
(4) En 1667, il est appelé par le supérieur général Sénault pour établir<br />
le catalogue des manuscrits orientaux. Après quelques années d'enseigne<br />
ment à Juilly (1668-1670 et 1672), il se fixe à Paris en 1673, attaché à la<br />
bibliothèque auprès du Père Lecointe (cf. Charles Hamel, Histoire de l'abbaye<br />
et du collège de Juilly, Paris, Douniol, 1868, et P. Adolphe Perraud, L'Ora<br />
toire en France, Paris, Douniol, 1866).<br />
(5) Renan, L'Exégèse biblique et l'esprit français (in Revue des Deux<br />
Mondes, 1865), ose en effet dire : a Je ne sais si Richard Simon avait lu<br />
Spinoza, en tout cas il n'en relève pas. » Son désir, en face de la science<br />
allemande, de montrer les origines françaises de l'exégèse est excusable,<br />
mais bien dangereux.<br />
« (6) Quand ma Démonstration fut publiée, un homme, s'il eût su se