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<strong>SPINOZA</strong> ET LE PROTESTANTISME FRANÇAIS 45<br />
homme, de vrai, comme les autres, et ce qu'il y a de bon en eux<br />
se trouve si réellement en lui qu'on peut dire qu'il est plus homme<br />
que tous eux (1). »<br />
Or, ce qui le révolte le plus dans le Tractatus,<br />
c'est l'absence<br />
de cette vie religieuse profonde. Spinoza parle de Dieu comme<br />
d'un Être reconnu, admis, mais prodigieusement lointain, indif<br />
férent au sort des hommes, aussi impassible que le cours des<br />
lois éternelles qu'il ne peut enfreindre sans se nier lui-même.<br />
Ce n'est pas tant l'absence de Dieu que l'absence de contact<br />
avec lui qu'il ne peut admettre; sans ce lien, plus de religion.<br />
Comment ne pas être tenté dès lors de « nier l'Être même de<br />
Dieu (2) »? On pense aussitôt aux véhémentes adjurations de<br />
Pascal contre Descartes. Mais pourquoi s'en prendre à Spinoza,<br />
et non pas à toute philosophie intellectualiste? C'est que Spinoza<br />
a déjà une valeur de symbole et la crainte qu'il inspire donne<br />
la mesure de l'audience qu'il a obtenue. « En faisant voir la<br />
vanité de ses objections, l'on soudra celles de tous les autres<br />
qui lui sont semblables et qui, comme lui,<br />
veulent faire les<br />
entendus et les savants (3). » Derrière l'érudition rabbinique,<br />
Pierre Yvon découvre assez vite un substrat philosophique; sous<br />
les applications morales et politiques du Tractatus, il a décelé<br />
une dangereuse doctrine; en 1681, il n'a pas encore assimilé<br />
l'Éthique,<br />
mais il l'a parcourue et en cite les premiers théo<br />
rèmes (4). Le premier de sa génération, il a aperçu la prodigieuse<br />
cohérence intérieure du système spinoziste. Dès lors, il ne saurait<br />
se borner à des invectives, aux insultes gratuites, pas plus qu'aux<br />
querelles de mots. Avec une largeur de vue que ses successeurs<br />
n'auront que rarement, il osera prendre la défense de Dieu sans<br />
s'embrouiller dans une exégèse tatillonne que Labadie lui a<br />
appris à mépriser.<br />
Il n'en suit pas moins pas à pas son ennemi. D'abord il le<br />
déloge de ses positions érudites. Que vient faire cette critique,<br />
cette « malheureuse critique (5) »? Jamais un texte, quel qu'en<br />
soit l'établissement, n'a sauvé une âme; jamais les chicanes<br />
verbales n'ont enrichi la vie spirituelle. La connaissance de<br />
l'hébreu n'apporte rien de nouveau au message de l'Écriture.<br />
Qu'importent ces anachronismes, ces erreurs de date, ces petites<br />
contradictions, ces interpolations? Il ne les nie pas, car ce n'est<br />
(1) L'Impiété convaincue, p. 82 (cité par A. Monod, De Pascal à Cha<br />
teaubriand, Alcan, 1916, p. 33).<br />
(2) Ibid., Préface.<br />
(3) Ibid., p. 206.<br />
(4) Ibid., Préface.<br />
5) Ibid., p. 286.