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<strong>SPINOZA</strong> ET LE PROTESTANTISME FRANÇAIS 73<br />
se retrouvent Jean Leclerc et Aubert de Versé. Mais il ne faut<br />
attendre d'eux ni sincérité, ni reconnaissance.<br />
Tout préparait Jean Leclerc à une large et intelligente compré<br />
hension de Spinoza : son père, médecin et professeur de grec<br />
à Genève, son oncle paternel David, remarquable hébraïsant,<br />
lui avaient légué de riches bibliothèques dont tout jeune il sut<br />
tirer profit; à l'âge où l'on sort du collège, Jean Leclerc était<br />
un des premiers érudits de son temps. Mais surtout une tradi<br />
était le petit-neveu du théologien armi<br />
— nien Etienne de Courcelles (1) l'avait détaché du calvinisme<br />
rigide. Toute sa vie, il défendra avec vigueur contre Jurieu<br />
— tion de libéralisme il<br />
et les prédestinateurs la religion tolérante des grands remon<br />
trants, d'un Grotius et d'un Episcopius. Mais ce protestantisme<br />
élargi qui, au nom du libre examen, le dresse contre l'autorité<br />
romaine et le pousse à tirer les conséquences ultimes des prin<br />
cipes de la Réforme, ne va pas sans une solide piété : dans la<br />
mesure où cette piété demeure chrétienne, ce qui n'est pas le<br />
cas de Spinoza, il se heurtera au philosophe de La Haye. Il ne<br />
peut se refuser à la méthode historique et critique du Tractatus<br />
qui dégage la foi de tant de pierres de scandale;<br />
mais chaque<br />
fois que le déterminisme de l'Éthique lui offre une prédestina<br />
tion aussi absolue que celle de Calvin,<br />
l'arminien en lui protestera.<br />
Il n'a pas vingt-quatre ans lors de son premier contact avec<br />
Spinoza. Au sortir de Genève, après deux ans de préceptorat<br />
à Grenoble (2), il étudie la théologie à Saumur; est-ce à ses maîtres<br />
de Saumur ou tout simplement à la bibliothèque de son père (3)<br />
qu'il doit la révélation du Tractatus? Toujours est-il que dans<br />
une lettre latine datée de Grenoble (4), il révèle à un ami inconnu,<br />
un coreligionnaire de Hollande, à la fois la pénétration des idées<br />
spinozistes en France et sa position définitive à leur égard :<br />
a Je ne doute pas que tu aies lu le Traité Ihéologico-poliiique;<br />
ce livre détourne en France de nombreux prélats non seulement<br />
de leur religion, mais même du christianisme. Mais si parmi nous<br />
il n'a pas encore fait de tels progrès, il produira une épidémie<br />
aussi grave,<br />
si on ne le réfute solidement. Je pense aussi qu'aux<br />
Pays-Bas beaucoup ne l'ont pas lu avec assez de précaution et<br />
(1) Né à Genève en 1586, pasteur à Fontainebleau en 1614, puis à Amiens.<br />
Déposé pour arminianisme par le synode de Charenton eu 1622, il se sou<br />
met puis s'expatrie en Hollande auprès du célèbre remontrant Episcopius<br />
jusqu'à sa mort en 1659 (cf. Haag, op. cit., t. IV p. 81).<br />
(2) Auprès du fils du conseiller au Parlement, Sarrasin de la Pierre (lb78-<br />
1680).<br />
(3) Etienne Leclerc n'était mort qu'en 1676.<br />
(4) 6 décembre 1681 (cf. Freudenthal, Die Lebengeschichte Spinozas,<br />
p. 210).