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<strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
que Leclerc et Simon (1). Mais cette assurance cache aussi de<br />
sérieux reculs doctrinaux : Le Vassor abandonne totalement le<br />
don prophétique de Moïse pour expliquer les anachronismes du<br />
Pentateuque, admet la corruption d'un texte composite, remanié<br />
au cours des âges. Plus encore; alors que Bossuet s'accroche aux<br />
passages douteux, s'insurge avec véhémence contre l'audace des<br />
eritiques, Le Vassor ne lutte pas, n'insulte pas, utilise avec<br />
bonhomie telle thèse de Leclerc ou d'Episcopius, lâche du lest<br />
avec une élégance qui paraît quelquefois de l'indifférence. Devant<br />
Leclerc et Simon, il laisse parler Bossuet et Huet sans prétendre<br />
à l'originalité. Sous son ton d'honnête homme perce le scepti<br />
cisme historique. Derrière l'édifice admirablement composé de<br />
son traité, derrière les phrases harmonieuses d'une rhétorique<br />
qui souvent ne le cède en rien à celle de Bossuet, Le Vassor<br />
reproche surtout à la critique de dépasser son rôle subalterne,<br />
dé vouloir fonder en face de l'orthodoxie millénaire un dogma<br />
tisme plus contestable encore. Spinoza n'est pas dangereux<br />
par ses menues objections, mais par son dessein général, par la<br />
métaphysique impie qu'il veut nous imposer : « Spinoza s'est<br />
tùé à force de rêver sur les moyens d'établir l'athéisme et l'irréli<br />
gion. Qu'a-t-il trouvé enfin, ce rare et sublime génie? Une méta<br />
physique où l'on ne comprend rien... Un homme de bon sens<br />
hasardera-i-il son salut sur la métaphysique de Spinoza? Que<br />
les sectateurs de cet impie méditent tant qu'il leur plaira, prou<br />
veront-ils jamais que notre foi n'est pas prudente, je veux dire<br />
que nous n'avons pas du moins autant de raisons de croire les<br />
faits principaux qui servent de fondement à notre religion, que<br />
l'on en a de croire les grands événements de l'histoire des Grecs<br />
et des Romains? Or, tant qu'il sera vrai que nous ne sommes<br />
pas imprudents de croire ce qui est dans l'Évangile,<br />
un esprit<br />
hien fait embrassera toujours une religion où il y a tant d gagner<br />
tl si peu d perdre (2). » L'allusion finale au pari de Pascal est<br />
révélatrice (3) des tendances secrètes de l'Oratoire, mais ne<br />
doit pas nous abuser. L'assurance de Pascal ne le pénètre pas<br />
et l'inquiétude que l'auteur des Pensées voulait faire naître chez<br />
les libertins n'existe qu'en lui-même. Le Vassor semble souvent<br />
défendre une orthodoxie à laquelle il ne semble que socialement<br />
attaché. Voilà pourquoi le cas de Simon et de Leclerc le pas-<br />
(1)<br />
■ Le libertinage déclaré n'est pas ce qui fait le plus de mal en ce<br />
siècle corrompu. La plus grande partie du monde en a horreur et le seul<br />
nom d'un homme sans religion empêche souvent qu'on ne l'écoute • (ibid.,<br />
(21 De la véritable religion, Préface.<br />
(3) Le Vassor cite plusieurs fois les Pensées (p. 59 et 60 notamment).