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<strong>SPINOZA</strong> ET LE PROTESTANTISME FRANÇAIS 69<br />
dans ses Éclaircissements parus en 1709 (1). Béarnais comme<br />
Abbadie dont il est le maître et dont il a assuré la carrière, après<br />
il dirige depuis<br />
1686 l'église française de Copenhague; une œuvre considérable<br />
de moraliste, sa douceur de manières, son désir de conciliation<br />
l'ont fait souvent comparer à Nicole. Avec beaucoup de pers<br />
un court séjour en Hollande et à Kœnigsberg,<br />
picacité, il se rend compte depuis dix ans (2) que le problème de<br />
la liberté et du mal va être la pierre d'achoppement de l'apolo<br />
gétique rationnelle.<br />
Or, Spinoza, par la franchise de ses thèses, le met à l'aise,<br />
alors que la dissimulation de Bayle l'incommode. Le théorème<br />
48 de la deuxième partie de l'Éthique est net : « Dans l'âme,<br />
il n'existe pas de volonté absolue, autrement dit libre, mais<br />
l'âme est déterminée à vouloir telle ou telle chose, par une cause<br />
qui elle aussi est déterminée par une autre et cette autre à son<br />
tour par une autre et ainsi de suite à l'infini. » Mais La Placette<br />
est surtout frappé par le commentaire donné au théorème<br />
précédent par la lettre à Schuller de la fin de 1674 et par l'image<br />
de la pierre qui tombe et qui se croit libre (3). Alors que Bayle<br />
voyait surtout dans la liberté un postulat théologique, Spinoza<br />
n'y aperçoit qu'un préjugé du sens intime (4). Il faut conjurer<br />
le désastre à la fois sur le plan moral et sur le plan psychologique.<br />
La liberté est d'abord une exigence de la conscience morale.<br />
Sans liberté, pas de moralité, car on ne condamne pas la pierre<br />
qui tombe et le feu qui brûle. Sans loi morale, les passions se<br />
débrident. Tous les bons spinozistes, retenus ni par la crainte de<br />
Dieu, ni par l'espérance de l'au-delà, ni par la beauté de la vertu,<br />
ni par la réputation et la « gloire, se garderont bien de blâmer<br />
ceux qui suivent leur penchant et... ils auront pour les autres la<br />
même complaisance qu'ils souhaitent que les autres aient pour<br />
eux (5) ». Bayle peut-il encore admettre dans sa société d'hon<br />
nêtes gens les spinozistes athées? Qu'attendre d'eux, sinon<br />
« d'horribles excès (6)<br />
»? Si l'activité humaine est le reflet d'une<br />
(1) Éclaircissements sur quelques difficultés qui naissent de la considération<br />
de la liberté nécessaire pour agir moralement, avec une addition où l'on prouve<br />
contre Spinoza que nous sommes libres (Amsterdam, Estienne Roger, 1709).<br />
(2) En 1704, Dissertations sur divers sujets de morale et de théologie; en<br />
1707, Réponse à deux objections qu'on oppose de la part de la raison à ce que<br />
la foi nous apprend sur l'origine du mal (contre Bayle).<br />
(3) Appuhn, t. III, lettre 58, p. 314 sqq. Il est à remarquer que La Pla<br />
cette n'utilise pas Éthique, I, proposition 32, ni Éthique, III, scolie de la<br />
proposition 2.<br />
« (4) Ce préjugé étant naturel, congénital parmi tous les hommes, ils ne<br />
s'en libèrent pas aisément » (Appuhn, t. III, p. 315).<br />
(5) Éclaircissements... (p. 285).<br />
Ibid., p. 287.<br />
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