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<strong>SPINOZA</strong> ET LE PROTESTANTISME FRANÇAIS 39<br />
violemment auprès de son ami Jacob Osten sans savoir encore<br />
que l'auteur est son correspondant Spinoza (1). Régnier de<br />
Mansvelt, professeur de philosophie à l'Académie municipale,<br />
prépare au su de Spinoza l'ouvrage qui paraîtra en 1674 (2).<br />
Puis le secret se divulgue assez rapidement dans les milieux<br />
universitaires, toujours curieux et souvent bavards. Dès le<br />
28 juin 1670, un docteur de Heidelberg, Miegius, révèle l'auteur :<br />
« C'est un Juif, un certain Spinoza... son ouvrage trouble les<br />
esprits (3). » Spinoza d'ailleurs a manqué de prudence. Deux de<br />
ses correspondants, peu sûrs, ont déjà tout compris : Van Vel-<br />
thuysen est renseigné par Osten et Spinoza a eu la faiblesse de<br />
répondre à ses critiques (4); le professeur d'Utrecht Graevius,<br />
tout en acceptant des services de Spinoza (5), le dénonce avec<br />
brutalité à Leibniz le 12 avril 1671 et lui propose l'envoi de<br />
l'ouvrage (6). Dès lors, toute l'Allemagne érudite sera avertie.<br />
En Hollande même, un pamphlet dirigé contre le grand Pen<br />
sionnaire Jean De Witt publie son nom en 1672 (7). La guerre<br />
contre la France, loin de faire oublier le scandale, tire Spinoza<br />
de sa retraite. Le colonel Stoppa entre à Utrecht en juin 1672<br />
avec l'armée de Condé; on l'informe de Spinoza. Qui? Comment<br />
ne pas penser à Van Velthuysen et à Grœvius? Spinoza compte<br />
tant d'adversaires à Utrecht. Après avoir accueilli le philosophe,<br />
Stoppa lance son pamphlet et accuse formellement les Hollandais<br />
de tolérer Spinoza et de ne pas le réfuter : « Ce Spinoza vit dans<br />
le pays... ses sectateurs n'osent pas se découvrir, parce que son<br />
livre renverse absolument les fondements de toutes les religions<br />
et qu'il a été condamné par un décret public des États et qu'on<br />
a défendu de le vendre,<br />
bien qu'on ne laisse pas de le vendre<br />
publiquement. Entre tous les théologiens qui sont dans ce pays,<br />
il ne s'en est trouvé aucun qui ait osé écrire contre les opinions<br />
que cet auteur avance dans son traité... S'ils continuent dans<br />
ce silence, on ne pourra s'empêcher de dire ou qu'ils n'ont point<br />
(1) Lettre 42 de la Correspondance de Spinoza (Appuhn, t. III, p. 265)<br />
datée du 24 janvier 1671.<br />
(2) Cf. Lettre 50 (Appuhn, t. III, p. 292). L'ouvrage s'intitule Adversus<br />
anonymum theologico-politicum (Amsterdam, 1674).<br />
« (3) Turbas ibi excitans ». Cf. Freudenthal, op. cit.,<br />
Samuel Andréas de Herborn).<br />
p. 193 (lettre à<br />
(4) Correspondance de Spinoza (Appuhn, t. III, p. 278, lettre'43).<br />
(5) Ibid., lettre 49,<br />
p. 290 (Spinoza lui a prêté un document relatif à<br />
Descartes).<br />
(6) Correspondance de Leibniz (Darmstadt, Reichl, 1923, Reihe I, Band I,<br />
p. 142).<br />
(7) Van der Linde, Benediclus Spinoza. Bibliografte (La Haye,<br />
Nijhoff, 1871, n° 62). On y accuse Jean de Witt de posséder le Tractatus<br />
de Spinoza dans sa bibliothèque.