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110 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
avant 1676. Dès le 17 février 1677, il annonce à son correspon<br />
dant les efforts apologétiques de Huet : « Monsieur Huet a mis<br />
sous la presse son traité de la vérité de la religion chrétienne où<br />
ait des<br />
il aura y beaucoup d'érudition; mais on doute qu'il y<br />
raisonnements convaincants. Il faudra répondre... au « Tractatus<br />
theokgico-polilicus » de Spinoza et aux objections de Julien<br />
l'Apostat et concilier les passages qui semblent se contrarier;<br />
sans cela,<br />
il est inutile d'entreprendre l'apologie de la religion<br />
chrétienne qui doit être défendue fortement ou point du tout (1). »<br />
Sans faire de Justel un spinoziste, on ne peut douter qu'il ait<br />
apprécié la force des arguments du Tractatus devant l'érudition<br />
intempestive de Huet; mais la même année, sans le nommer<br />
d'ailleurs, il donne à Leibniz des précisions sur les recherches<br />
de Richard Simon et semble assez au fait de ses thèses pour le<br />
rapprocher de Spinoza (2) : « Nous aurons bientôt une critique<br />
historique sur les livres de la Bible où il aura y des choses hardies.<br />
L'auteur soutient que le canon de l'Écriture n'a été fait qu'après<br />
la captivité (c'est aussi le sentiment de Spinoza), que le sanhédrin<br />
pouvait ajouter et ôter ce qui lui plaisait de l'Écriture qu'il<br />
croit avoir été maltraitée comme les autres livres. Il y a plusieurs<br />
autres choses de cette force-là qui me paraissent terribles. Cepen<br />
dant cet ouvrage sera bon et utile (3). » Une telle défiance pour les<br />
talents de Huet, une telle sympathie pour les audaces de Richard<br />
Simon n'est pas pour déplaire à Leibniz qui, quelques mois<br />
après la parution des Opéra Posthuma, ne craint pas de livrer à<br />
Justel le jugement le plus sincère qu'il ait jamais donné sur<br />
Spinoza : « Les œuvres posthumes de M. Spinoza ont été publiées.<br />
La plus considérable partie est Ethica, composée de cinq traités.<br />
J'y trouve quantité de belles pensées conformes aux miennes, comme<br />
savent quelques-uns de mes amis qui l'ont été aussi de Spinoza (4).<br />
Mais il y a aussi des paradoxes que je trouve ni soutenables ni<br />
jl> Correspondance de Leibniz (Reihe I, Band 2, n°<br />
218, p. 247).<br />
(2) Henri Justel est depuis 1676 en pourparlers avec Richard Simon et<br />
le pasteur Claude pour une traduction de la Bible « qui ne favorisât aucun<br />
paftin?i qui pût être é&aleraen' utile aux catholiques et aux protestants »<br />
(cf. Richard Simon, Réponse à la « Défense des sentimens de quelques théolo<br />
giens de Hollande », Rotterdam, Reinier Leers, 1687, p. 77). Bossuet repro<br />
chera violemment à R. Simon cette collusion avec des protestants (Disser<br />
tation sur la doctrine et la critique de Grotius, in Œuvres complètes, Coi-<br />
gnard, Paris, 1747, t. II, p. 361). Déjà, à la fin de 1673, l'Anglais Hickes<br />
avait connu chez Justel « un savant père de l'Oratoire » qui semble bien<br />
être Richard Simon (cf. Ternois, loc. cit., Revue de Littérature comparée,<br />
octobre-décembre 1933, p. 589).<br />
(3) Corresp. Leibniz, n»<br />
262, p. 285 (lettre du 30 juillet 1677).<br />
MJ Evidemment Justel est au fait de ses rapports avec Schuller et Tschir-