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260 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
d'enflure, selon les cas, aux sentiments profonds d'un auteur (1)? s<br />
Voilà pourquoi Malebranche et Fénelon, alors que leurs doc<br />
trines propres les rapprochaient singulièrement de l'Éthique<br />
essaieront tout autant que Leibniz de dissimuler la parenté de<br />
leur inspiration par la vigueur de leurs attaques.<br />
1° Malebranche et Spinoza.<br />
Lorsque les Opéra Posthuma parurent en 1677, Malebranche<br />
avait déjà constitué l'essentiel de sa doctrine et les ouvrages<br />
postérieurs à la Recherche de la vérité (2), malgré leurs formes<br />
nouvelles qui les orientent vers le dialogue platonicien ou vers<br />
le pamphlet, n'apparaissent souvent que comme la menue mon<br />
naie d'un vaste système que l'auteur débite à regret, poussé<br />
par l'inintelligence ou la malveillance des lecteurs. Nul philo<br />
sophe qui se suffise autant à lui-même que l'Oratorien : c'est<br />
un musicien qui ne joue que sa propre musique. En dehors de<br />
la vocation philosophique révélée brutalement par la lecture du<br />
Traité de l'homme de Descartes (3), il est difficile de discerner<br />
en lui le poids respectif des influences étrangères. Nous ne sau<br />
rions en tout cas ici reproduire le dosage savant de M. Henri<br />
Gouhier (4), et mettre à leur juste place dans l'élaboration de<br />
son œuvre la pensée de Descartes, de Bérulle et de saint Augus<br />
tin. Ce qui est certain, c'est que les deux systèmes, sans qu'il<br />
y ait eu quelque dépendance historique entre eux,<br />
sans que<br />
Malebranche ait jamais été attiré comme Leibniz par la per<br />
sonne même de Spinoza, ont poursuivi, au sortir des mêmes<br />
sources cartésiennes, une inquiétante carrière parallèle. Male<br />
branche a dû tenir compte de l'Ethique à son corps défendant.<br />
M. Gouhier dit à juste titre que l'œuvre de Malebranche, depuis<br />
les Méditations « chrétiennes, est une protestation contre le spi<br />
nozisme (5) »; peut-être faut-il y déceler plus tragiquement la<br />
hantise permanente d'un adversaire qui semblait aux yeux du<br />
pieux Oratorien dresser une odieuse caricature de sa pensée.<br />
Et pourtant, même sans aucune prévention,<br />
des rapproche-<br />
(1) Friedmann, op. cit. (p. 181). , „,<br />
livres IV,<br />
(2) Paris, Pralard, 1674 (1« vol., livres I, II et III), 1675 (2« vol.,<br />
V et VI).<br />
(3) L'Homme de René Descaries et un Traité du fœtus du même auteur,<br />
avec les remarques de Louis de La Forge... (Paris, Charles Angot, 1664, m-4 ).<br />
(4) La Vocation de Malebranche (Paris, Vrin, 1926). .<br />
(5j La Philosophie de Malebranche et son expérience religieuse (Pans,<br />
Vrin, 1926, p. 372).