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SPINOZA

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84 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />

Spinoza établit l'unicité de la<br />

matière tirée du néant absolu,<br />

substance qui fait du monde une émanation de Dieu. Aubert<br />

de Versé, dès sa préface (1), accepte la critique de l'idée de créa<br />

tion, mais refuse le monisme de Spinoza dont il aperçoit beaucoup<br />

plus les dangereuses conséquences antichrétiennes que les insuf<br />

fisances logiques. D'une part on ne saurait prouver la possi<br />

bilité d'une création ex « nihilo, qui est impossible et implique<br />

contradiction (2) »; c'est là une notion suspecte et confuse que<br />

le récit de la Genèse ne permet nullement d'inférer, fondée sur<br />

une interprétation contestable d'un mot hébreu et défendue<br />

très tardivement par un théologien aussi douteux que Tertullien<br />

: aucune nécessité d'orthodoxie n'exige donc qu'on accroche<br />

à un tel dogme l'avenir du christianisme. En l'acceptant, on<br />

trace même la voie au spinozisme : admettre un néant antérieur<br />

à la création, c'est reconnaître que Dieu a tout tiré de sa propre<br />

substance et voir dès lors dans le monde une émanation de Dieu.<br />

D'autre part, le point central de l'Éthique, l'unicité de la subs<br />

tance, n'est qu'un athéisme larvé : toute émanation de Dieu,<br />

c'est-à-dire toute créature,<br />

participerait alors à la perfection<br />

et à la divinité. Il faut donc échapper à l'impasse en trouvant<br />

une solution à la fois commode et rationnellement fondée. Repre<br />

nant alors le vieux thème lucrétien du ex nihilo nihil fit, Aubert<br />

de Versé rajeunit la vieille doctrine d'Anaxagore, plus ou moins<br />

reprise par Platon et par les stoïciens : en face de toute-<br />

Dieu,<br />

puissance et toute perfection, existe une matière éternelle essen<br />

tiellement imparfaite, sans force, vie ou connaissance, qu'un<br />

esprit organisateur informe et modèle à sa guise.<br />

Mais il ne suffit pas d'invoquer l'utilité d'une vieille cosmo<br />

gonie pour détruire l'édifice de YÉthique, qui somme toute<br />

paraît à notre auteur singulièrement séduisant. Admettre l'im<br />

possibilité de la création (3) et la validité du 3e théorème de<br />

l'Éthique (4)<br />

et refuser l'unicité de substance sur laquelle se<br />

fonde sa démonstration est déjà hasardeux. Aubert de Versé<br />

s'y risque, comme si l'on pouvait utiliser la solution d'un pro<br />

blème dont on conteste les données. Pour lui, le dualisme reste<br />

possible. C'est un pur sophisme que le théorème 5 : deux sub<br />

stances de même attribut peuvent exister à la fois dans la nature.<br />

« Mais qui t'a accordé, impie, qu'il n'y a que la seule diversité<br />

(1) L'Impie convaincu, Préface (p. vin).<br />

(2 Ibid., p. 2.<br />

(3) « Dieu ne peut être cause de la matière : cela parait avoir beaucoup<br />

de force » (ibid., p. 4).<br />

(4) « Si des choses n'ont rien de commun entre elles, l'une ne peut être<br />

la cause de l'autre » (Éth., I, prop. 3).

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