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« LE TRAITÉ THÉOLOGICO-POLITIQUE » 195<br />
gorique et aborde en historien l'Ancien Testament. Que ce<br />
soit dans le Pentateuque ou ailleurs, il préfère supposer des<br />
« interpolations que de toujours invoquer des prophéties d'ave<br />
nir (1) ». Mais ce domaine théologique n'est pas le sien. Il faut<br />
sauver la révélation? La chose est facile. Il suffit d'instaurer<br />
dans l'Ancien Testament une légalité tout aussi rigoureuse que<br />
dans l'orthodoxie catholique. Ne distinguons pas comme Leclerc<br />
et Grotius entre livres historiques et livres prophétiques (2).<br />
Une longue suite attestée de scribes officiels a rédigé depuis<br />
Moïse annales et prophéties d'avenir; il est impossible de distin<br />
guer entre les prophètes et les scribes écrivant sous leur dictée.<br />
Tous sont des inspirés de Dieu et l'ensemble de ces œuvres gardent<br />
leur valeur dogmatique. Lors du second Temple, lorsque les<br />
prophètes firent défaut, les décisions du sanhédrin maintinrent<br />
l'orthodoxie au même titre que les conciles de l'Église catho<br />
lique (3). Nous ne doutons pas des décisions de l'Église, tenues<br />
pour inspirées bien que les contingences historiques en soient<br />
connues; pourquoi douter de la valeur de la révélation judaïque<br />
et s'inquiéter de quelques écarts anachroniques que l'historien,<br />
par sa profession, est en droit de relever?<br />
Le danger était visible. Une telle théorie consacrait l'appau<br />
vrissement de la notion d'inspiration. En répandant uniformément<br />
le bénéfice de l'inspiration sur tout l'Ancien Testament, Richard<br />
Simon mettait dans l'ombre et non en relief les prophéties essen<br />
tielles et par là même énervait l'une des principales preuves de<br />
la religion chrétienne. Par sa légalité abstraite, par ce biais<br />
juridique qu'était le blanc-seing divin accordé au moindre<br />
scribe, il faisait perdre de vue ce mystère incomparable de<br />
la révélation où la parole de Dieu parvenait aux hommes, tra<br />
duite en langage humain par la voix des prophètes. Qu'il le<br />
voulût ou non,<br />
Richard Simon desséchait l'âme même de la<br />
religion et transformait en code l'émouvant appel prophétique.<br />
(1) Histoire crit. du V. T. (livre I, chap. 5).<br />
(2) Réponse à la « Défense des sentimens... « (Rotterdam, Reinier Leers,<br />
p. 114. Richard Simon établit une distinction délicate entre prophètes<br />
1687,<br />
prédisant l'avenir et prophètes scribes écrivant des annales. Mais tous sont<br />
également inspirés. Samuel a pu cumuler les fonctions).<br />
(3) « L'inspiration est également dans les conciles et dans le sanhédrin...<br />
Dieu avait établi dans l'ancienne loi des juges de tous les points qui avaient<br />
besoin d'être consultés de la même manière que les évêques assemblés dans<br />
les conciles sont les juges des controverses de la religion chrétienne : on<br />
doit se soumettre à leurs décisions » (ibid., p. 102). RichaTd Simon avait<br />
même écrit dans la Réponse aux « Sentimens... » (Rotterdam, Leers, 1686,<br />
p. 120) : « Dieu soumet les prophètes à l'autorité du sanhédrin qui devait<br />
condamner à mort les faux prophètes » : c'était le triomphe du légalisme<br />
ecclésiastique sur l'inspiration anarchique.