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« LE TRAITÉ THÉOLOGICO-POLITIQUE »<br />
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conduit l'esprit de celui qui écrit, en sorte qu'il ne permet pas<br />
qu'il se trompe (1) ».<br />
Bayle va plus loin; les orthodoxes ne voient rien que de<br />
raisonnable dans l'Écriture; Spinoza justifie la valeur des pro<br />
phéties par leur essence morale; le professeur de Rotterdam<br />
renchérit et ne craint pas d'amputer l'Écriture chaque fois que<br />
la morale rationnelle lui paraît atteinte; un chapitre de son<br />
Commentaire philosophique sur le Compelle intrare porte ce titre :<br />
« Que la lumière naturelle ou les principes généraux de nos<br />
connaissances sont la règle matrice et originale de toute inter<br />
prétation de l'Écriture, en matière de mœurs principalement (2),. »<br />
Il ne conteste pas une certaine autorité de l'Écriture, mais la<br />
limite : « Tout dogme qui n'est pas homologué pour ainsi dire,<br />
vérifié et enregistré au Parlement suprême de la raison et de<br />
la lumière naturelle, ne peut être que d'une autorité chance<br />
lante et fragile (3). » Cette monnaie d'une grande doctrine, nous<br />
la retrouvons chez le journaliste de génie que fut Fontenelle<br />
dans sa jeunesse. Fontenelle n'a pas comme Bayle une connais<br />
sance exhaustive de Spinoza; mais depuis 1674, il fait de longs<br />
séjours à Paris avant de s'y fixer définitivement vers 1688. Il<br />
fréquente assidûment vers 1680 chez le protestant Justel, dont<br />
nous avons aperçu le rôle dans la diffusion du spinozisme en<br />
France (4). Dans la querelle des Anciens et des Modernes, il<br />
est l'allié des frères Perrault dont le rôle ne fut pas moindre.<br />
Maintes fois dans ses œuvres postérieures, le contact avec Spi<br />
noza est établi sans que le nom soit prononcé (5). Or, dès 1686,<br />
avec la Relation de l'île de Bornéo, l'Entretien sur la pluralité<br />
des mondes et surtout l'Histoire des oracles,<br />
sa doctrine et ses<br />
méthodes sont constituées. Comme Spinoza, il veut une nature<br />
sans miracles et infirmer la connaissance révélée. Mais sa méthode,<br />
très française, est d'un journaliste plus que d'un philosophe;<br />
Dissertation préliminaire ou Prolégomènes sur la Bible<br />
(1) Ellies Dupin,<br />
(Paris, 1699. t. I, chap. 2, S 2; cf. Monod, p. 59).<br />
(2) Œuvres diverses (t. II, livre I, chap. 1, p. 367).<br />
(3) Ibid., p. 369.<br />
(4) « Il y avait encore des conférences chez divers particuliers. Ceux qui<br />
avaient le goût dps véritables sciences s'assemblaient par petites troupes<br />
comme des espèces de rebelles qui conspiraient contre l'ignorance et les préjugés<br />
dominants. Telles étaient les assemblées de l'abbé Bourdelot, médecin du<br />
prince le grand Condé et celles de Justel » (Éloge de Lémery, 1715, in Œuvres,<br />
édit. Bastien, 1790-1792, t. VI, p. 370 et 371).<br />
(5) Cf. J.-R. Carré, La Philosophie de Fontenelle ou le sourire de la rai<br />
son (Paris, Alcan, 1932) (« Fontenelle a dû avoir entre les mains le texte<br />
des Opéra Pnsthuma de 1677 », p. 381, note 618. « La source spinoziste...<br />
est plausible », p. 477. « (Les lectures) de Spinoza ou lues ou entrevues chez<br />
des spinozistes plus ou moins sincères sont peut-être les plus probables<br />
avant 1686 », p. 476).