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<strong>SPINOZA</strong> ET LE PROTESTANTISME FRANÇAIS 51<br />
ment plus dangereux. Il a toujours le nom de Dieu à la bouche,<br />
mais ce Dieu n'est qu'un pur concept, une entité chimérique,<br />
un amas de choses finies tant corporelles que spirituelles, rien<br />
de plus (1)} et non le Dieu de vie sensible au cœur du chrétien:<br />
Ne croyez pas cet impie lorsqu'il prétend dans le Tractatus<br />
sauvegarder la morale et l'État. Il faut exclure cet hypocrite'<br />
de là société des hommes, car il la corrompt et la mine (2).<br />
Une préface aussi violente laisse bien augurer de la réfutation<br />
elle-même. Poiret va s'y reprendre à trois fois dans un prodigieux<br />
désordre;<br />
on peut distinguer en gros une appréciation générale<br />
du spinozisme (3), puis une discussion d'ensemble de la théodicée<br />
de l'Éthique (4), enfin une critique suivie dès dix premières1<br />
propositions du même ouvrage (5). Qui est Spinoza? Poiret nous<br />
l'apprend succinctement : un Juif renégat dont les opinions<br />
n'ont fait qu'empirer, « ex Judaeo christianus, ex christiano<br />
Deistaj ex Deista Atheus (6) »; mais depuis sa mort, c'est-à-dire<br />
depuis sept ans, le silence ne s'est pas fait sur sa personne; on<br />
a publié de son œuvre la part la plus monstrueuse, on l'a traduit<br />
en langue vulgaire. Mais à côté des candidats à l'enfer, combien<br />
de braves gens, non prévenus, se sont laissé corrompre (7).<br />
Poiret s'est donc décidé à la réfutation. Il a lu l'Éthique avec<br />
soin; longtemps il a voulu croire à la religion ! de Spinoza; ne<br />
voir proela--<br />
en lui qu'un hérétique, non un athée. Ses disciples<br />
maient qu'une conception originale dé Dieu, même erronée,<br />
atheis1--<br />
n'entraîne pas « l'athéisme, errorem circa Deum non esse<br />
mum ï>. Poiret se sent prêt à lui pardonner même Te déisme;<br />
loin d'être un fanatique, il croit que dans toute église, l'honnête'<br />
homme peut faire son salut (8). Mais en toute raison et cons<br />
cience, Spinoza n'est même pas un déiste, c'est le pire dès athées',<br />
(1) Cogilaliones ralionales (p. 53) : « nil aliud intelligendum substituit<br />
quam modo chimaeras universalium logicorum modo compagem rerum flni-<br />
tam extensarum vel corporearum quam cogitantium mentium huma-<br />
tarum,t<br />
narum et praeterea nihil ».<br />
(2) Ibid.,<br />
p. 54 : « simulare solet se rerum publicarum politices ethicesque<br />
maxime curare et stabilire ».<br />
(3) Ibid., p. 70 à 82 (chap. XI daté d'Amsterdam, 15 avril 1684).<br />
(4) Ibid., p. 176 à 528 (passim, surtout dans les notes ajoutées en 1685).<br />
(5) Ibid., p. 721 à 808 (c'est le véritable traité Ahtispinozianus).<br />
(6) Ibid., p. 77. L'opinion contemporaine a souvent cru Spinoza pro<br />
testant, du fait de ses liens avec de nombreux « remontrants » ou « collé"<br />
giants ». Le stade déiste est représenté par le Traclalus, l'athéisme par<br />
l'Éthique.<br />
(7) Ibid., p. 79 : « sed quoniam post ejus obitum atheismi candidétt<br />
(errores Spinozae) luci tradidere, immo et in lingua vulgi a Saiûnae asseclis<br />
sunt publico expositi, denique quia... plurimi, nonnulli etiam non maligne"<br />
animo, sedincauto, iis intoxicantur:.. ».<br />
les'<br />
C'est ce qu'il développe dans la Paix des bonnes âmes dans tous<br />
(8)<br />
partis du christianisme (Amsterdam, 1687).