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LA QUERELLE DE <strong>SPINOZA</strong> : « L'ÉTHIQUE » 271<br />
Voué dès sa jeunesse à l'apostolat et à la direction spirituelle,<br />
par sa formation à Saint-Sulpice et par les nécessités mêmes<br />
de ses missions, Fénelon échappait évidemment aux querelles<br />
érudites qui opposaient Huet et Richard Simon aux thèses du<br />
Tractatus. Malgré les délicats pastiches du Télémaque et un sens<br />
aigu de la vie antique, il ne sera jamais un historien. En revanche,<br />
la puissance dialectique qui séduisait Bossuet, les profondeurs<br />
d'une intense vie intérieure, le poussèrent très tôt aux détails<br />
les plus ardus d'une théodicée. Esprit fluide et nuancé, il semble<br />
avoir longtemps hésité dans l'élaboration d'une doctrine per<br />
sonnelle, élaboration qui subit moins qu'on ne le pense d'in<br />
fluences étrangères. Mme Guyon fut pour lui beaucoup plus une<br />
expérience vivante que la dépositaire d'une sagesse nouvelle.<br />
Rien d'.étonnant donc à ce qu'il ait, au détour de cette lente<br />
maturation, rencontré l'Éthique de Spinoza. Mais tout porte à<br />
croire que sa lecture en fut rapide, qu'il n'y chercha nullement<br />
une vérité et que les thèses de l'incrédule, loin d'être examinées<br />
avec sympathie, ne furent pour lui comme pour Malebranche,<br />
qu'un système de références ou mieux une série de limites dan<br />
gereuses,<br />
une espèce d'Enfer intellectuel dont il ne convenait<br />
pas d'approcher de trop<br />
près (1).<br />
« Tous les chrétiens, disait Fénelon au cardinal de Noailles,<br />
ne peuvent pas être métaphysiciens, mais les principaux théolo<br />
giens ont grand besoin de l'être (2). » Lorsqu'en 1681, à la<br />
demande et avec la collaboration de Bossuet, il commence à<br />
écrire sa Réfutation du système du Père Malebranche sur la<br />
nature et la grâce, il sent pleinement l'utilité de Descartes en<br />
matière théologique : avant tout, il cherche à établir que Dieu<br />
est libre à l'égard de tout ce qui n'est pas lui-même et que, loin<br />
d'être lié à l'ordre du monde qu'il a établi, il a sur sa création<br />
un pouvoir arbitraire. Or, cette liberté de Dieu qu'il défend<br />
contre Malebranche est le thème essentiel des attaques contre<br />
Spinoza. Mais nulle part le philosophe hollandais n'est cité.<br />
Est-ce par charité pour l'oratorien? Jamais Fénelon dans ses<br />
polémiques n'est descendu aux insultes d'un Faydit ou aux<br />
insinuations d'un Tournemine ou d'un Dutertre. Mais il est<br />
(1) La meilleure étude sur le sujet demeure toujours celle de M. Léon<br />
Brunschvicg, Spinoza et ses contemporains (Paris, Alcan, 3e édit., 1923,<br />
'<br />
(2) Histoire littéraire de Fénelon, par l'abbé Gosselin (Paris, 1843,<br />
p. 238).