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LA QUERELLE DE <strong>SPINOZA</strong> : « L'ÉTHIQUE » 267<br />
pour l'opposer à l'étendue matérielle, n'est qu'une pure illu<br />
sion, pour déguiser un dogme qui ferait horreur, si on le présen<br />
tait à découvert, comme un philosophe extravagant osa faire il<br />
y a quelques années (1). »<br />
Dès lors le saut est fait : c'est au nom de Spinoza que les<br />
deux adversaires vont se déchirer dans leur interminable que<br />
relle. Une fois de plus le climat intellectuel de cette fin du<br />
xvne<br />
siècle nous apparaît avec ses préventions, ses précautions,<br />
ses duplicités, son air irrespirable. Le véritable spinozisme n'est<br />
pas en cause et nul ne se soucie de ce que fut la pensée réelle<br />
du philosophe de La Haye; mais c'est un épouvantail qu'on<br />
brandit, une haine qu'on remâche. Nulle part mieux que dans<br />
cette lamentable polémique n'apparaît le rôle dissolvant du spi<br />
nozisme : Malebranche ni Arnauld, tout comme Leibniz, ne<br />
gardent leur sang-froid. Comme le dit M. Gouhier : « Les deux<br />
adversaires puisent leur passion à la même source et la haine<br />
du spinozisme les jette l'un contre l'autre avec une égale vio<br />
lence (2). »<br />
Malebranche repoussera avec une conviction douloureuse<br />
« cette accusation atroce » et lancera l'anathème contre le pan<br />
théisme (3). Mais la nuée de ses adversaires ne désarme pas.<br />
Les uns gardent quelques ménagements comme Fénelon (4) et<br />
même Régis. Mais le futur réfutateur de Spinoza ne peut être<br />
tendre, dans son Système de philosophie, devant une confusion<br />
entre l'idée de Dieu et l'idée d'étendue : « Si Dieu était tout<br />
être ou l'Être universel, comme cet auteur l'enseigne, il fau<br />
drait que tous les êtres fussent des parties intégrantes ou des<br />
parties subjectives de Dieu, puisqu'il est impossible de trouver<br />
un autre genre de parties. Or, les êtres ne sont pas des parties<br />
intégrantes de Dieu parce que, s'ils l'étaient, Dieu serait composé<br />
des ...ce êtres, qui répugne à la simplicité divine. Les êtres ne<br />
sont pas non plus des parties subjectives de Dieu parce que,<br />
s'ils l'étaient, Dieu serait une nature universelle qui n'existerait,<br />
que dans l'entendement de celui qui la concevrait (5). » La<br />
(1) Défense d'Arnauld... (p. 538).<br />
(2) Op. cit., p. 372.<br />
(3)<br />
Lettre du 7 juillet 1694 : « Anathème à quiconque met en Dieu l'éten<br />
due formelle, je le prononce du fond de mon coeur » (cité par Bouillier, op.<br />
cit., t. II, p. 183).<br />
(4) Réfutation du système de la nature et de la grâce (composée vers 1681-<br />
1684, éditée après la mort de Fénelon).<br />
p. 187).<br />
(5) Paris, Denis Thierry, 1690 (t. I,