You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
226 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
son rapprochement avec les Jésuites (1). François Lamy tantôt<br />
défend Malebranche et tantôt l'attaque (2); le «prince carté<br />
sien » lui-même qui attirait tout Paris à ses conférences, Pierre<br />
Sylvain Régis, passe pour un hérésiarque dans sa théorie empiriste<br />
de la connaissance (3). Dès 1673, un obscur philosophe<br />
de ruelle, habitué du salon de Mme de Sablé, M. de la Clausure,<br />
tirait « avec une certaine complaisance », selon le mot de Vic<br />
tor Cousin, des thèses cartésiennes sur l'infinité du monde ce<br />
que dix ans plus tard l'opinion française appellera spinozisme (4).<br />
C'est donc dans le désordre des doctrines, au moment de la<br />
plus grande confusion des consciences, que la métaphysique de<br />
Spinoza vient aborder la France. Elle contraste avec les produc<br />
tions de l'heure par la rigidité de ses démonstrations et par<br />
la sérénité de son ton impersonnel. Mais bientôt il apparaît<br />
qu'au contraire de Descartes, on ne peut acclimater Spinoza<br />
en terre chrétienne. De son acceptation ou de son refus, dépend<br />
la valeur accordée à la théologie traditionnelle. Dès lors, Spinoza<br />
concentre toutes les haines. Mais il était nécessaire, avant d'en<br />
trer dans le détail des réfutations, de montrer le désarroi de<br />
la pensée française et ses luttes internes dont le morcellement<br />
du cartésianisme n'est qu'un épisode : en face de Spinoza, les<br />
attitudes seront plus nuancées qu'on ne le croit d'habitude et<br />
représenteront, par leurs violences comme par leurs prudences,<br />
beaucoup<br />
moins les réactions personnelles de lecteurs objectifs<br />
ou !les aspects divers d'une large réfutation chrétienne que les<br />
incidences d'un système nouveau sur d'obscures polémiques, où<br />
l'intelligence française achève de se dégrader et de se perdre.<br />
B. —<br />
Anticartésiens et francs-tireurs.<br />
!Dans la lutte contre Spinoza, il semblerait normal de voir<br />
s'engager tous les anticartésiens du temps, et au premier rang,<br />
les champions batailleurs de la Compagnie de Jésus. En fait,<br />
il n'en est rien. Les Jésuites n'ont jamais attaqué Spinoza de<br />
front; ils semblent avoir longtemps partagé l'opinion de Bos-<br />
(1) Cf. Bouillier, op. cil. (p. 594).<br />
2 Ibid., t. II, p. 365.<br />
(3) Système de philosophie (Paris, Denis Thierry, 1690, t. I, livre 2, Chap. 1<br />
et 14, p. 184 sq.). Régis fut attaqué sur ce point par Lélevel, disciple de<br />
Malebranche, dans La Vraie et la Fausse Métaphysique (Rotterdam, 1694).<br />
(4) Cf. Victor Cousin, Fragments de philosophie cartésienne (Paris, Char<br />
pentier, 1845, p. 434 sq.). « Le monde sera donc nécessaire et comme il est<br />
déjà immense, il sera encore éternel: en un mot, le monde sera Dieu • (ibid.,<br />
p. 436).