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106 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
essaie de tisser jusqu'à Londres, Leyde, Heidelberg<br />
ou Bologne<br />
le réseau de cette « République des Lettres » que Bayle ne<br />
pourra réaliser qu'en Hollande. D'instinct, ce sont eux qui<br />
accueillent en France les étrangers dont au même moment ne se<br />
soucient guère Boileau et Racine. Huet et Justel connaissent<br />
Huygens depuis 1660-1661 et ont facilité ses premiers pas à<br />
Paris (1); tous deux sont en rapport avec la Société royale de<br />
Londres et son actif secrétaire Henry Oldenburg (2). Par son<br />
ami, l'agent français Findekeller, Justel est au courant des choses<br />
d'Allemagne (3). Colbert encourage cette activité cosmopolite :<br />
Justel,<br />
pensionné en 1669 « en considération de son application<br />
aux belles lettres », l'est en 1670 pour un motif mieux justifié; il<br />
reçoit mille livres de gratification « à cause du commerce qu'il<br />
entretient avec la plupart des savants hommes de l'Europe (4j ».<br />
Leurs lieux de réunion sont toujours les mêmes; c'est d'abord à<br />
quelques pas de l'Hôtel Colbert la Bibliothèque du Roi où<br />
Huygens les accueille, où chacun va recueillir la dernière nouvelle<br />
et consulter le manuscrit rare ou le livre récent. Baluze tout<br />
proche leur ouvre les richesses de la bibliothèque personnelle de<br />
Colbert. L'Académie des Sciences les réunit deux fois par semaine;<br />
c'est leur création commune et grâce à une meilleure observance<br />
du principe de cooptation qu'à l'Académie française, il y règne<br />
jusqu'à la réorganisation royale de 1699 une certaine anarchie<br />
propice à la liberté intellectuelle (5). A deux cents mètres de la<br />
Bibliothèque du Roi, rue des Bons-Enfants, c'est la large hospi<br />
talité de l'Hôtel Perrault. Mais le lieu d'élection de nos cosmo<br />
polites, le rendez-vous de tous les étrangers de passage, c'est<br />
la vieille demeure de « Justel, sur les fossés de Monsieur-le-<br />
Prince (6) ». Tous les témoignages concordent et affluent; Huy<br />
gens et Leibniz y sont reçus. Huet voit poétiquement dans Justel<br />
« l'hôte des Muses elles-mêmes » : « tous les jours, sa maison était<br />
le rendez-vous des savants ». (7) Fontenelle avec quelque exagé<br />
ration y verra beaucoup plus tard un cercle « de rebelles qui<br />
(1) Cf. Brugmans, op. cil. (p. 89, 152 et 154).<br />
(2) Cf. Harcourt Brown (in Bulletin Soc. histoire du protestantisme fran<br />
çais, avril-juin 1933, p. 187 sq. Les archives de la Royal Society de Londres<br />
possèdent encore 200 lettres de Justel à Oldenburg, Boyle, Halley et Southwell.<br />
La correspondance avec Oldenburg s'étend de 1663 à 1677).<br />
(3) Ph. Dally, toc. cit. (1930, p. 10).<br />
p. 9.<br />
4) Ibid.,<br />
(5) Cf. E. Maindron, L'Académie des Sciences (Paris, Alcan, 1888, in-8°,<br />
p. 3).<br />
(6) Actuellement, 22,<br />
rue Monsieur-le-Prince (cf. i Dally, > /oc. cit., » 1928, ><br />
p. 349 sq.).<br />
(7) Mémoires (édit. Nisard, op. cit., p. 131).