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SPINOZA

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LA QUERELLE DE <strong>SPINOZA</strong> : « L'ÉTHIQUE » 223<br />

donnait déjà l'esquisse d'une théorie de la connaissance et sépa<br />

rait en dignité l'ignorance pieuse et soumise du vulgaire, domaine<br />

de la foi et de la révélation, de l'évidence intérieure qui mène<br />

i le sage à la vérité et à Dieu. Donc, dès le Tractatus, le chrétien<br />

pouvait accuser notre philosophe de soumettre Dieu au destin,<br />

iDeum subjicere fato et la foi à la raison, fidem subjicere rationi.<br />

Mais ce rationalisme déterministe se révélait avec beaucoup<br />

plus de brutalité dans l'Éthique. Et cela, dès le Ier livre. Dans<br />

ce sommaire apparent de la théologie scolastique où le lecteur<br />

ne se trouvait nullement dépaysé devant les distinctions de<br />

substance, modes et attributs, la théorie de la substance unique<br />

engageait aussitôt l'absorption du monde en Dieu : Tout ce qui<br />

existe, existe en Dieu (1); et la préface du IVe livre en donnait<br />

une confirmation plus voyante : « Cet être infini et éternel que<br />

nous appelons Dieu, autrement dit la Nature, agit en vertu de<br />

la même nécessité qui fait qu'il existe (2).» Dès lors un der-<br />

inier théorème clôt le cercle : « Dans la nature, il n'existe rien<br />

de contingent : au contraire, toutes les choses sont déterminées<br />

par la nécessité de la nature de Dieu à exister et à agir d'une<br />

façon donnée (3). » Le lecteur chrétien n'a nul besoin d'aller<br />

plus loin : les conséquences d'une telle doctrine sont désastreuses<br />

pour sa foi. Si l'on admet l'assimilation Deus sive Natura, le<br />

dogme de la création devient un mythe puéril; si Dieu n'est<br />

pas libre de modifier à son gré l'ordre éternel sans se nier lui-<br />

même, il n'y a plus de Providence dans l'histoire d'un monde<br />

qui obéit aux lois d'un mécanisme intelligent mais sans repen<br />

tir, dans lequel le miracle ne peut venir modifier les réalités<br />

physiques ni la grâce la condition humaine. Si l'homme enfin<br />

n'est pas libre, le péché originel n'a plus de sens, la rédemption<br />

n'est qu'une promesse vaine, le salut qu'un espoir fallacieux.<br />

Aussi bien, les réfutateurs du xvne siècle ne liront pas l'Éthique<br />

au-delà du premier livre; peu leur importent la théorie des<br />

idées développée dans le deuxième, le traité des Passions des<br />

troisième et quatrième, qui avait pourtant de quoi ravir les<br />

disciples de Descartes, ou l'étonnante mystique intellectualiste<br />

du traité de la Béatitude. Dès les prémisses, ils croient saisir<br />

l'homme et découvrir son venin : Spinoza est un athée, le pire<br />

de tous; ce n'est pas un de ces libertins discrets dont la doc<br />

trine est aussi relâchée que la conduite; c'est « l'imposteur »,<br />

(1) Éthique (livre I, théorème 15).<br />

2 Ibid., livre IV, Préface.<br />

(3) Ibid., livre I, théorème 29.

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