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« LE TRAITÉ THÉOLOGICO-POLITIQUE » 173<br />
science historique et de la critique des témoignages. Or, tous ces<br />
témoignages, Spinoza les trouve suspects; tous sont l'œuvre de<br />
narrateurs prévenus, ignorants ou intéressés. « Dans leurs chro<br />
niques et leurs histoires, les hommes racontent leurs propres<br />
opinions plus que les faits réellement arrivés (1). » Le récit de<br />
Josué est le fait d'un fanatique et d'un ignorant : il ne sait pas<br />
que le soleil est immobile, mais il n'est pas fâché de prouver aux<br />
adorateurs du soleil que leur astre est à la merci de Jéhovah.<br />
La propagande religieuse exige que le peuple croie à l'incessante<br />
présence de Dieu qui s'irrite, se contriste de nos péchés, stérilise<br />
ou rafraîchit la terre, brûle les cités et ruine les empires. Enfin,<br />
faut-il exclure le mensonge pieux, « l'addition faite aux livres<br />
sacrés par des hommes sacrilèges (2)? »<br />
Ainsi donc, le miracle n'existe pas, car il contredit tout ce que<br />
la lumière naturelle nous enseigne sur la véritable religion. Croire<br />
au miracle, c'est attenter à Dieu. Et tous les miracles de l'Ancien<br />
Testament, lorsqu'ils ne sont pas de purs mensonges ou l'expres<br />
sion poétique d'une rhétorique orientale, sont réductibles à des<br />
faits naturels masqués par l'ignorance, la prévention et l'intérêt<br />
de primitifs narrateurs. Pour la première fois dans la pensée<br />
occidentale,<br />
une doctrine cohérente éliminait le miracle. Mais Spi<br />
noza sur ce point dépassait la logique même du cartésianisme;<br />
non content d'exposer une méthode, il l'appliquait impérieu<br />
sement dans un domaine jusque-là sacré. Avec lui, le problème<br />
du miracle passait du stade philosophique au stade polémique.<br />
Une telle rigueur fit scandale; aucun esprit chrétien, même<br />
libéral, ne put assimiler la pensée de Spinoza. Le cas de Pierre<br />
Bayle est caractéristique, par les limites mêmes de son audace,<br />
dans la fameuse affaire de la Comète de 1680. Spinoza, dédaigneux<br />
d'une banale actualité, aurait refusé de répondre « aux questions<br />
de plusieurs personnes curieuses ou alarmées » (3) et de pro<br />
mouvoir sa doctrine par des moyens de journaliste. Bayle sait<br />
bien que les « bonnes âmes » ont pu être rassurées par maints<br />
ouvrages qui depuis 1665 ramènent (4) ces étranges météores<br />
aux lois naturelles. Mais n'était-ce pas là un prétexte unique<br />
(1) Appuhn, Spinoza (p. 140).<br />
2) Ibid., p. 139.<br />
(3) Pensées diverses sur la Comète (Avis au lecteur, édit. Prat, t. I,<br />
p. 3).<br />
(4) Particulièrement P. Petit, Dissertation sur la nature des Comètes (Paris,<br />
1665), et M. Mallement de Messange, Dissertation sur les Comètes (Paris,<br />
1681).