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SPINOZA

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278 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />

souvent les termes des derniers théorèmes de l'Éthique et l'exal<br />

tation de Spinoza devant l'amor inlellectualis Dei. Lorsque Féne<br />

lon,<br />

extase,<br />

au terme d'une recherche intellectuelle qui s'achève en<br />

dit à son Dieu : « C'est vous qui vous aimez vous-même<br />

en moi », ne donne-t-il pas la traduction affective de Spinoza :<br />

« Dieu, dans la mesure où il s'aime lui-même, aime les hommes<br />

et conséquemment l'amour de Dieu à l'égard des hommes et<br />

l'amour intellectuel de l'âme à l'égard de Dieu n'est qu'une<br />

seule et même chose (1)? » Faut-il aller plus loin en<br />

core et rechercher des ancêtres communs, faut-il évoquer les<br />

Dialoghi aVamore de Leone Hebreo où Molinos et Spinoza<br />

auraient puisé de concert le goût d'une « spiritualité intellec-<br />

tive (2) »?<br />

La vérité est ailleurs et plus proche. Derrière les contradic<br />

tions d'une doctrine fuyante et les ressemblances de termes,<br />

elle est dans l'âme même de Fénelon. Certes l'archevêque de<br />

Cambrai vit intensément, comme Spinoza, un drame métaphy<br />

sique et recherche aussi, bien qu'avec moins de sérénité et une<br />

ferveur plus visible, les voies intellectuelles de la vérité, mais<br />

l'extase de la fusion en Dieu n'est pas comme dans l'Éthique<br />

une contemplation sereine et consciente. « Un moment de recueil<br />

lement, d'amour et de présence de Dieu fait plus voir et entendre<br />

la vérité que tous les raisonnements des hommes », avouera-t-il<br />

dans ses Méditations sur l'Écriture sainte (3). Et nous voilà<br />

bien loin de Spinoza. Il est arrivé en effet à Fénelon ce qui<br />

arrive à tous les mystiques; c'est d'avoir à traduire ses aspira<br />

tions et ses visions en un langage qui demeurait intellectuel.<br />

A suivre la lettre de Fénelon, sa doctrine nous paraît souvent<br />

parente de celle de Spinoza, qu'il réfute pourtant âprement à<br />

chaque rencontre, et que, selon toute vraisemblance, il connaît<br />

fort mal. Mais nous aurions tort de rechercher dans les épan-<br />

chements du mystique archevêque de Cambrai la rigueur intel<br />

lectuelle (4)<br />

qui mène à Dieu le penseur de l'Éthique. N'est-ce<br />

pas lui qui confiait un jour à Ramsay : « Il y a un style du<br />

cœur et un autre de l'esprit, un langage du sentiment et un<br />

(1) Éthique (livre V, théorème 35, corollaire).<br />

(2) Diletiatione inlelletuale (ci. Brunschwico, op. cit.,<br />

p. 374 et note).<br />

(3J Cf. Ély Carcassonne, Fénelon, l'homme et l'œuvre ( Paris, Boivin, 1946,<br />

§. 118). M. Carcassonne parle d'un « progrès instinctif et sollicité cependant<br />

e la démonstration à l'extase » (ibid., p. 119).<br />

(4) Fénelon a d'ailleurs le sentiment de son instabilité : « Au reste, je ne<br />

Suis expliquer mon fond. Il m'échappe, il me paraît changer à toute heure.<br />

e ne saurais guère rien dire qui ne me paraisse faux un moment après »<br />

(lettre à la duchesse de Mortemart, édit. Aimé Martin, t. I, p. 555).

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