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LA QUERELLE DE <strong>SPINOZA</strong> : « L'ÉTHIQUE » 277<br />
dans le Traité de l'existence de Dieu, le vocabulaire de Fénelon<br />
et celui de Spinoza sont interchangeables : « Qu'est-ce que la<br />
substance de Dieu? C'est tout l'être. Qu'est-ce que la substance<br />
de la créature? C'est une portion de l'être. L'essence d'une<br />
créature est la manière bornée dont elle possède l'être... Tout<br />
est pris dans l'être comme plusieurs habits seraient pris dans<br />
une même pièce d'étoffe... Ainsi, il ne faut pas se représenter<br />
les différences, soit génériques, soit spécifiques comme ajoutant<br />
quelque chose de réel et de positif pour constituer les substances<br />
et les natures particulières (1). » Mais alors quelle différence<br />
instaurer, autre que verbale, entre les substances particulières<br />
de Fénelon et les modes de Spinoza? L'un et l'autre ne semblent<br />
accorder qu'une existence relative aux individus (2). Pour prendre<br />
un langage spinoziste, la nature « naturée » est dans une dépen<br />
dance absolue de la nature « naturante » : « Otez aux substances<br />
créées toutes leurs modifications, vous en faites l'être universel<br />
et sans bornes (3). » Comment ne pas être tenté de conclure<br />
que Fénelon, malgré un prologue cartésien,<br />
la création une existence indépendante par rapport au Créa<br />
teur? Et l'on comprend qu'un moderniste comme Jacques<br />
Rivière n'ait pas hésité à dire que « la théodicée de Fénelon est<br />
un panthéisme (4) ».<br />
a souvent dénié à<br />
Certes, il est difficile d'admettre l'incohérence dans la pensée<br />
d'un homme tel que Fénelon; mais comment ne pas reconnaître<br />
de contradiction dans les termes entre la réfutation cartésienne<br />
de Malebranche, qui affirme la transcendance de Dieu, et l'assu<br />
rance de son immanence au monde formulée dans le Traité?<br />
Quelle est l'attitude qui est essentielle? Quelle est celle qui<br />
représente la précaution? Il semble bien que lorsque Fénelon<br />
s'abandonne à l'élan intérieur de sa pensée, c'est plus l'union<br />
avec Dieu qu'il recherche que sa démonstration méthodique.<br />
Si nous faisons de la thèse de l'immanence au monde le centre<br />
de sa théodicée, Fénelon tout autant que Malebranche doit<br />
apparaître comme « le frère chrétien de Spinoza ». Le quié<br />
tisme, avec sa contemplation passive, avec sa recherche de<br />
l'union avec Dieu, avec sa doctrine du pur amour, reprend<br />
(1) JVafure de l'homme (édit. Didot, t. I, p. 31).<br />
(2) Cf. Éthique, I, théor. 25, corollaire : «Les choses particulières ne sont<br />
rien d'autre que les affections, autrement dit les modes des attributs de<br />
Dieu », et I, théor. 15 : • Tout ce qui existe, existe en Dieu et rien ne peut<br />
exister ni être conçu sans Dieu. »<br />
(3) Nature de l'homme (loc. cit., p. 40).<br />
(4) In Annales de la philosophie chrétienne (IV* série, t. VII, 1908-1909,<br />
p. 143).