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212 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
Nous l'appellerions une théosophie; les contemporains y virent<br />
un athéisme déguisé.<br />
Ce n'était en fait qu'un déisme neuf, d'une incomparable<br />
puissance dialectique, seul capable d'insuffler la vie dans le<br />
libertinage exténué. Dès le 24 janvier 1671, Lambert de Vel<br />
thuysen, médecin d'Utrecht, un des premiers lecteurs du Trac<br />
tatus, a le sentiment à la fois de cette parenté et de ce dépasse<br />
ment : « Dans sa crainte de la superstition, (l'auteur) s'est dépouillé<br />
de toute religion. Du moins ne s'élève-t-il pas au-dessus de la<br />
religion des déistes qui sont partout en assez grand nombre, et<br />
particulièrement en France. Mersenne a publié contre eux un<br />
traité qu'il me souvient d'avoir lu. Mais parmi les déistes, on<br />
en trouverait difficilement un seul qui ait écrit en faveur de<br />
cette cause détestable avec autant d'habileté et d'astuce (1). » En<br />
1680, en reprenant un titre célèbre dans son De tribus imposto-<br />
ribus magnis, l'Allemand Christian Kortholt (2)<br />
montre une<br />
curieuse identité de vues entre Spinoza et les deux déistes<br />
anglais, Hobbes et lord Edouard Herbert de Cherbury (3). Mais<br />
en France même, le déisme,<br />
c'est-à-dire l'ambition d'établir une<br />
religion naturelle, sans mystère ni fanatisme, réduite « au credo<br />
le plus court (4) », n'est encore qu'une tendance non explicite.<br />
Le Père Mersenne se plaint lui-même de se battre contre des<br />
ombres, même lorsqu'il grandit ses adversaires cachés, et les<br />
fameux Quatrains du déiste qu'il réfute et qui dès 1620 circulent<br />
sous le manteau, ne témoignent pas d'une grande profon<br />
deur philosophique (5). Quant au Theophraslus Redivivus, dont<br />
la violence antireligieuse fait penser davantage aux pam<br />
phlets voltairiens et aux publications de Naigeon qu'à la<br />
sérénité spinoziste, dont l'information vieillie ne va pas audelà<br />
de Bodin et de Vanini, M. Stephenson Spink a fort<br />
du manuscrit de la lettre de Simon de Vries (24 février présentée par<br />
1663)<br />
Madeleine Francès (op. cit., p. 227 sqq.) : « Défendre sous votre conduite<br />
la vérité contre les superstitions de toutes les religions, même la chrétienne,<br />
et soutenir l'assaut du monde entier », contra superstiliose religiosos ehrislianosque<br />
verilatem defendere (pour une lecture différente, cf. Appuhn, t. III,<br />
p. 138).<br />
(1) Lettre à Jacob Ostens (cf. Appuhn, t. III, p. 265, lettre du 24 janvier<br />
1671).<br />
(2) Kiel, 1680.<br />
(3) Son De veritale fut publié en France au cours d'une ambassade (1624)<br />
et critiqué par Gassendi (Opéra omnia, Lyon, 1658, t. III, p. 411 sqq.;<br />
Ad librum Domini Edoardi Herberli, et. Pintard, op. cit., p. 481).<br />
(4) Pintard, op. cit. (p. 49).<br />
(5) L'Impiété des déistes, athées et libertins de ce temps... (Paris, Bilaine,<br />
1624; cf. sur ce point Pintard, op. cit., p. 49 et 600). Les Quatrains du<br />
déiste, . l'Antibigot ou le faux dévotieux ■, ont été publiés par Fréd Lachèvre<br />
à la suite de Voltaire mourant (Paris, 1908).