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« LE TRAITÉ THÉOLOGICO-POLITIQUE » 193<br />
que leurs prédictions sont œuvre d'imagination et n'exigent<br />
nulle créance, de même toute exégèse allégorique de leurs pro<br />
phéties, toute utilisation apologétique, est œuvre de fantaisie<br />
vouée par d'illusoires analogies à des controverses sans fin. Mais<br />
les prophètes sont aussi les premiers éducateurs moraux de<br />
l'humanité et les prophéties demeurent un guide de la vie morale,<br />
pratique et efficace pour une humanité indigne encore d'accéder<br />
à la liberté du sage.<br />
Cette doctrine restait obscure; les quelques audaces étaient<br />
dispersées dans plusieurs chapitres éloignés les uns des autres (1)<br />
ou enrobées dans de longues digressions philologiques (2).<br />
Moïse conservait une place à part dans le groupe des prophètes,<br />
ce qui confirmait la valeur privilégiée de la Loi (3). Spinoza<br />
semblait même parfois admettre la révélation chrétienne sinon<br />
les dogmes des Églises (4). Aussi bien l'opinion du temps fut-elle<br />
beaucoup plus scandalisée par les attaques contre l'intégrité de<br />
l'Écriture que par cette interprétation nuancée de la prophétie.<br />
Chose plus grave, cette opinion, surtout celle des théologiens,<br />
était fort divisée. En face de théologiens incapables de donner<br />
une doctrine cohérente sinon orthodoxe de la prophétie, en face<br />
de philosophes pour la plupart cartésiens qui séparent normale<br />
ment la raison de la révélation,<br />
refoulent toute connaissance<br />
révélée vers le pur domaine de la théologie et se trouvent fort<br />
empêchés de combattre une théorie de la connaissance qui, en<br />
gros, reste la leur, Spinoza obtient une espèce de non-lieu, d'au<br />
tant plus qu'il ne conteste jamais l'existence de la révélation,<br />
mais seulement sa valeur.<br />
De fait,<br />
la doctrine spinoziste de la prophétie sera rapidement<br />
incluse sinon noyée dans une querelle plus vaste,<br />
théopneustie, ou pour parler plus clairement, celle de l'inspiration<br />
celle de la<br />
quelqu'un qui eût un autre moyen de percevoir et d'autres fondements de<br />
la connaissance, il dépasserait les limites de la nature humaine. »<br />
(1) Tractatus theol.-pol., chap. I, De la prophétie; chap. II, Des prophètes;<br />
chap III De la vocation des Hébreux; chap. XIII, Montrant que l'Ecriture<br />
ne contient que des enseignements très simples; chap. XIV et X.V,passim<br />
p. 29 à 37).<br />
(2) Cf. interprétation du mot hébreu ruagh = esprit (t. II,<br />
(3) Ibid., chap. I, p. 22 sqq.<br />
(4 Ibid chap I p 28 : « Je ne croîs pas qu'aucun se soit élevé au-dessus<br />
des autres'a une telle perfection, si ce n'est le Christ à qui les décisions de<br />
Dieu qui conduisent les hommes au salut ont été révélées sans paroles m<br />
visions immédiatement ... Si donc Moïse parlait avec Dieu face à face<br />
(c'est-à-dire par le moyen de leurs deux corps), le Christ, lui, a communiqué<br />
avec Dieu d'âme à âme. »<br />
Y. VERNIERE, I