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LA QUERELLE DE <strong>SPINOZA</strong> : « L'ÉTHIQUE » 251<br />
en pouvait espérer pour établir dans l'esprit des philosophes la<br />
divinité et l'immortalité de l'âme (1). » Qui ne voit que derrière<br />
Malebranche se profile Spinoza?<br />
Cette inquiétude était fondée. En 1689 éclate comme une<br />
bombe la Censura philosophiae cartesianae de Huet. Non seule<br />
ment le futur évêque d'Avranches récusait le cogito, le critère<br />
de l'évidence, les idées innées et la théodicée de Descartes,<br />
mais il faisait le procès de toute philosophie rationnelle dont<br />
l'orgueil n'accepte la théologie que lorsqu'elle ne heurte pas la<br />
lumière naturelle, nisi theologia rationis lumini repugnet (2).<br />
Mais le dernier pas sera fait par Leibniz; c'est lui qui, par une<br />
propagande intense de plus de vingt années, en faisant cause<br />
commune avec tous les ennemis de Descartes,<br />
va essayer de<br />
compromettre définitivement auprès du public français Des<br />
cartes par Spinoza. Même chez Leibniz, cette tactique est récente<br />
et semble dater de 1679, lors d'une conversation chez Puffen-<br />
dorf (3); quatre lettres à Christian Philipp de Hambourg<br />
cisent (4). Des cartes,<br />
la pré<br />
en abandonnant les causes finales et en<br />
admettant l'évolution indéfinie et spontanée de la matière, mène<br />
droit à l'athéisme de Spinoza. Deux mémoires à Molanus, pro<br />
bablement de 1680, vont encore plus loin : le Dieu de Descartes<br />
qui n'a ni volonté ni entendement est tout proche « du Dieu<br />
de Spinoza,<br />
savoir le principe des choses et une certaine sou<br />
veraine puissance ou nature primitive qui met tout en action<br />
et fait tout ce qui est faisable (5)<br />
». Mais deux événements<br />
allaient ranimer la verve de Leibniz et porter la querelle en<br />
France : la Censura de Huet en 1689 et la publication en 1691<br />
de la Vie de Descartes par Baillet (6). C'est le 5 juin 1692 que<br />
l'abbé Nicaise,qui jouait le rôle des utilités dans la République<br />
des Lettres et remplaçait auprès de Leibniz le bon Justel parti<br />
à Londres, reçut de Hanovre une violente satire anticartésienne<br />
mêlée à de grands éloges de l'ouvrage de Huet (7). Nicaise la<br />
(1) Bouillier, op. cil. (p. 239).<br />
(2) Censura philosophiae cartesianae (Paris, Daniel Horthemels, 1689,<br />
p. 174).<br />
(3) Lettre de Philipp à Leibniz du 22 novembre 1679: « Je me souviens,<br />
que vous disiez<br />
Monsieur, quand nous étions une fois chez M. de Puffendorf,<br />
que les principes de M. Descartes menaient assez fortement à l'athéisme »<br />
(Leibniz, Œuvres philosophiques, édit. Gerhardt, Berlin, 1880, t. IV, p. 281).<br />
(4) Lettres de janvier et février 1680 (ibid., p. 281 à 289).<br />
5) Ibid., p. 299.<br />
(6) Leibniz devait d'ailleurs travailler sur l'abrégé anonyme de 1693 :<br />
« La Vie de M. Descaries, contenant l'histoire de sa philosophie et de ses<br />
autres ouvrages; et aussi ce qui luy est arrivé de plus remarquable pendant<br />
le cours de sa vie. »<br />
(7) Œuvres philosophiques (édit. Gerhardt, t. II, p. 533).