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98 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
livrés (1). Lorsqu'au milieu de la même année Tschirnhaus part<br />
en Angleterre où il recueille les recommandations d'Oldenburg<br />
et de Denis Papin (2), lorsqu'il arrive à Paris auprès de Huygens<br />
à la fin de septembre (3), on peut considérer qu'il est l'homme<br />
d'Europe le mieux averti de la doctrine encore secrète de l'Éthique.<br />
L'accueil de Huygens est chaleureux et le jeune homme, aussitôt<br />
présenté à Colbert, est engagé comme précepteur du fils du<br />
ministre. Nous ne savons de la recommandation de Spinoza ou<br />
de celle d'Oldenburg laquelle fut la plus forte, mais il semble que<br />
les connaissances mathématiques de l'Allemand et non les secrets<br />
spinozistes qu'il détenait furent seules évoquées auprès de CojV<br />
bert. Huygens cependant le questionne sur l'activité de son maître,<br />
s'il n'a pas publié quelque nouvel ouvrage. Tschirnhaus, prudent,<br />
refuse de répondre (4). Du moins, c'est ce qu'il annonce à son<br />
ami Schuller qui s'empresse de rendre compte à Spinoza des<br />
résultats de l'entrevue. Spinoza approuve aussitôt la réserve<br />
de son disciple; Huygens n'est pas encore un allié tout acquis :<br />
« Il a eu dans ses conversations avec M. Huygens à mon sujet<br />
une conduite prudente à mon jugement (5) ».<br />
Or, par une curieuse coïncidence, Tschirnhaus, dès le premier<br />
mois de son séjour à Paris, est mis en contact avec un autre<br />
protégé de Huygens, son compatriote Leibniz. Depuis le prin<br />
temps de 1672, le jeune conseiller de Francfort réside à Paris et<br />
s'est fixé vers 1673 avec son élève, le fils de son protecteur le<br />
baron de Boinebourg, à l'hôtel Saint-Quentin, rue Garancière,<br />
tout près du Luxembourg (6). Or, si Tschirnhaus est le principal<br />
détenteur des secrets de Spinoza, Leibniz dans son universelle<br />
curiosité est depuis longtemps à l'affût de tout ce qui touche à<br />
la personne et aux œuvres du philosophe de La Haye (7). Dès<br />
(1) Appuhn, t. III, p. 321 (allusion au I" livre, définition 6) et p. 318<br />
(allusion au II8 livre).<br />
(2) Correspondance de Huygens, t. VII (lettre d'Oldenburg à Huygens<br />
du 30 juillet 1675 lui vantant les mérites mathématiques de Tschirnhaus,<br />
p. 486; lettre de Denis Papin au même du 10 août recommandant « le<br />
gentilhomme alleman », p. 490).<br />
(31 Ibid., t. VII, lettre de Huygens du 9 octobre à l'Anglais Smethwick.<br />
(4) Appuhn, t. III, p. 344. « M. Huygens a demandé avec intérêt si<br />
d'autres ouvrages du même auteur n'avaient pas été pubUés. A quoi Tschir<br />
nhaus a répondu qu'il ne connaissait que l'exposition des Principes de la<br />
philosophie de Descartes. Il n'a rien répondu de plus à votre sujet et espère<br />
que cela aussi ne vous sera pas désagréable (lettre 70 de Schuller à Spinoza,<br />
14 novembre 1675). »<br />
(5) Ibid., p. 348 (lettre 72, 18 novembre 1675).<br />
(6) Cf. Daville, Le Séjour de Leibniz à Paris (in Archiu fur Geschichle<br />
der Philosophie, Berlin, Leonhard Simion, 1920, Band XXV, p. 148).<br />
(7) Georges Fhiedmann a donné une remarquable mise au point de la<br />
question dans son Leibniz et Spinoza (Paris, Gallimard, 194:6) qui complète<br />
et rectifie l'ouvrage quelquefois tendancieux de Ludwig Stein : Leibniz uni