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184 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
signes sacrés d'autres miracles spirituels qui n'ont point de<br />
bornes semblables (1). » Vingt ans plus tard, lorsqu'il achève en<br />
1695 ses Méditations sur l'Évangile,<br />
sa doctrine n'a pas changé.<br />
Développant le mot du Christ dans saint Jean « (XIV, 10-12) Ne<br />
croyez-vous pas que je suis en mon Père et mon Père en moi?<br />
Croyez-le du moins à cause des œuvres que je fais », il insiste<br />
sur le caractère vulgaire des preuves matérielles (2) : c'est par<br />
l'amour que doit se faire la conversion, par l'intuition immé<br />
diate de la divinité du Christ. Les vrais, les seuls miracles sont<br />
dans la réussite du christianisme. La meilleure preuve, c'est que<br />
les miracles des apôtres sont plus grands que ceux du Christ,<br />
non pas les miracles chétifs racontés dans les Actes, mais la<br />
conversion d'un monde soulevé par la prédication apostolique :<br />
« Celui qui croit en moi non seulement fera les œuvres que je<br />
fais, mais il en fera encore de plus grandes. » Dès lors le miracle<br />
est dans la conquête des âmes, miracle spirituel incessant dans<br />
l'Église et que Bossuet lui-même obtient par sa voix inspirée, du<br />
haut de sa chaire ou dans ses lettres de direction. Nous voilà<br />
donc bien proches de la doctrine de la Société de Jésus que<br />
contestait Pascal. Bossuet, dans son apologétique purifiée,<br />
rejoint sans s'en douter Érasme qui affirmait à Episcopus que le<br />
christianisme ne dépendait pas des miracles : « Non pendet<br />
religio Christianorum a miraculis (3); » l'évangélisme qui selon<br />
Guillaume Postel écartait le miracle de l'apologétique : ; Nullis<br />
miraculis opus esse ad confirmationem religionis » (4); et même<br />
le fameux mot de Luther : « Si j'étais obligé de choisir, je m'en<br />
tiendrais volontiers à cette prédication du Christ et je renon<br />
cerais à ses miracles, qui ne me servent de rien (5). » Certes,<br />
Bossuet ne croit pas être obligé de choisir et ne veut rien mutiler<br />
d'une tradition qu'il croit authentique. Il sait très bien qu'aucune<br />
philosophie, pas plus celle de Descartes que celle de Spinoza,<br />
ne le mènera au Dieu des chrétiens : s Nous avons besoin parmi<br />
nos erreurs, non d'une philosophie qui dispute,<br />
mais d'un Dieu<br />
qui nous détermine dans la recherche de la vérité. La voie du<br />
raisonnement est trop lente et trop incertaine. Le chrétien n'a<br />
rien à chercher parce qu'il trouve tout dans la foi, le chrétien<br />
(1) Second Sermon pour le IIe dimanche de l'Avent (in Œuvres complètes,<br />
édit. Lâchât, Paris, Vives, 1862, t. VIII, p. 178).<br />
(2) Ibid., t. VI, p. 518 sq.<br />
(31 Lettre à Episcopus, Ie' septembre 1528 (édit. Leclerc, t. III, ép. 974).<br />
(4) Alcorani et Evangelislarum concordia, prop. 28 (Paris, Gromorsius,<br />
(5) Préface à la traduction du Nouveau Testament (traduction Reuss,<br />
t. XVII, Introduction, p. 18).