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LA QUERELLE DE <strong>SPINOZA</strong> : « L'ÉTHIQUE » 263<br />
allé de lui-même à Spinoza et la parenté des systèmes qui devait<br />
frapper tous les contemporains lui fut sensible avant tout autre.<br />
Comment expliquer en effet cette réfutation savante de la<br />
9e Méditation de 1683, alors que Malebranche n'a été attaqué<br />
par personne et que le Traité des vraies et des fausses idées<br />
d'Arnauld (1)<br />
n'a pas encore paru? Nous ne pouvons parler<br />
de duplicité, mais dès que Malebranche connaît Spinoza, la<br />
violence de son ton trahit une mauvaise conscience (2).<br />
M. Gouhier fait remarquer fort habilement que dans le Xe Éclair<br />
cissement d la « Recherche de la vérité », publié en 1678 (3),<br />
Malebranche élude toute discussion sur l'infinité du monde<br />
et sur l'infinité de Dieu, tout en employant pour la première<br />
fois l'expression tant contestée depuis d'<br />
« étendue intelli<br />
gible ». Mais après les Opéra Posthuma, il devient inutile de<br />
biaiser. Spinoza qui conçoit Dieu comme une substance infi<br />
niment étendue assimile par là même la nature à Dieu et rend<br />
la création impossible. Atteint dans son orthodoxie, Male<br />
branche affirme son originalité; Jésus, son porte-parole, montre<br />
que seule la foi peut garantir l'étendue matérielle et que la<br />
nature, loin d'être éternelle, a été créée : « Tu dois distinguer<br />
deux espèces d'étendues, l'une intelligible, l'autre matérielle.<br />
L'étendue intelligible est éternelle, immense, nécessaire... L'autre<br />
espèce d'étendue est la matière dont le monde est composé et<br />
bien loin que tu l'aperçoives comme un être nécessaire, il n'y a<br />
que la foi qui t'apprenne son existence. Le misérable Spinoza<br />
a jugé que la création était impossible et par là dans quels égare<br />
ments n'est-il pas tombé (4). » Tout le dialogue est dominé par<br />
l'effroi des conséquences de l'Éthique : « Crois ce que tu vois,<br />
mais ne crois pas que le monde soit éternel ni que la matière<br />
qui le compose soit immense, éternelle, nécessaire; n'attribue<br />
pas à la créature ce qui n'appartient qu'au Créateur et ne confonds<br />
pas ma substance que Dieu engendre par la nécessité de son<br />
être, avec mon ouvrage que je produis avec le Père et le Saint-<br />
(1) Cologne, d'Egmont, 1683.<br />
(2) Lettre à Lamy (Blampignon, op. cit., p. 51) : n On pourrait néanmoins<br />
prouver les vérités qu'il attaque sans faire mention de lui et peut-être que<br />
cette manière serait assez utile et effectivement j'ai dit bien des choses<br />
dans ce dessein de munir mon lecteur contre ses impiétés, comme ce qui est<br />
dit par rapport à lui dans la 9° Méditation. » Malebranche craint beaucoup<br />
plus un rapprochement fatal avec sa doctrine qu'il ne croit au danger<br />
couru par l'Église par la divulgation de Spinoza.<br />
(3) Cf. Gouhier, La Philosophie de Malebranche (op. cit., p. 366) (t Je<br />
n'ose pas m'engager à traiter ce sujet à fond »).<br />
(4) Méditations chrétiennes (édit. Genoude, Paris, de Sapia, 1837, t. II,<br />
p. 145).