You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
222 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
est menteur, hypocrite, diabolique. Pour Fénelon,<br />
Spinoza «~a<br />
affecté la méthode des géomètres pour donner à son ouvrage<br />
un tour d'exactitude et de démonstration (1)»; l'évêque de<br />
Soissons, Mgr de Sillery, lui reproche « de se servir de la plus<br />
sûre de toutes les méthodes pour établir des idées... fausses et...<br />
singulières (2) »; François Lamy s'effraie de « ces démonstrations<br />
si enchaînées et qui ont un si grand air de justesse et de liaison<br />
avec la raison que..., dès qu'on s'est laissé aller aux premières, il<br />
est malaisé de ne pas se laisser aller aux suivantes (3) ». Mais<br />
Bayle n'est pas sans apprécier cette « méthode toute nou<br />
velle » (4) et l'impression première d'un mathématicien comme<br />
Dortous de Mairan semble bien résumer celle des meilleurs<br />
esprits : « Le caractère de cet auteur, si différent de tout ce<br />
que j'avais vu jusqu'alors, la forme abstraite, concise et géomé<br />
trique de son ouvrage, la rigidité de ses raisonnements, me<br />
parurent dignes d'attention (5). » C'est donc cette méthode qui<br />
parut l'invention la plus maligne de Spinoza : tous les réfuta-<br />
teurs, loin de la dénigrer, voudront se l'assimiler; les meilleurs<br />
d'entre eux, les plus naïfs aussi, François Lamy, Régis, Lan-<br />
genhert, combattront Spinoza avec « les mêmes armes dont il<br />
s'est servi « (6) », par une méthode géométrique à laquelle l'es<br />
prit ne saurait s'échapper (7) ». En face du monument spino<br />
ziste, chacun voudra dresser l'esquisse caricaturale d'une nou<br />
velle Éthique.<br />
Mais quel était le contenu de ces cadres séduisants? Le lec<br />
teur averti du Tractatus pouvait déjà s'en douter. Non seule<br />
ment Spinoza devait légitimement inquiéter les chrétiens par<br />
son exégèse biblique et son insidieuse interprétation des pro<br />
phéties, mais sur deux points il révélait le substrat métaphy<br />
sique de ses impiétés. Tout d'abord l'impossibilité du miracle<br />
dans l'enchaînement des lois naturelles engageait la doctrine<br />
d'un Dieu infini, immuable, sans passions, qui n'intervenait pas<br />
dans les affaires humaines et dont l'action s'inscrivait totale<br />
ment dans le déterminisme universel. De plus, en interdisant<br />
toute servitude réciproque entre la raison et la foi, Spinoza<br />
(1) Lettre du 14 juin 1696 à M. Lamy (en tête de son ouvrage Le Nouvel<br />
Athéisme renversé, Paris, Roulland, 1696).<br />
(2) Lettre du 14 mai 1696 (ibid., Avertissement).<br />
(3) Le Nouvel Athéisme renversé (op. cil., p. 11).<br />
(4) Dictionnaire historique et critique (5° édit., Amsterdam, 1734, t. V,<br />
p. 201).<br />
(5) Lettre à Malebranche du 17 septembre 1713 (in Cousin, Fragments<br />
de philosophie cartésienne, Paris, Charpentier, 1845, p. 269).<br />
(6) Lettre de M. Hideux du 15 mai 1696 (in Lamy, op. cit., Avertissement).<br />
(7) Lettre de Mgr de Sillery (ibid.).