28.06.2013 Views

SPINOZA

SPINOZA

SPINOZA

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

LA QUERELLE DE <strong>SPINOZA</strong> : « L'ÉTHIQUE » 221<br />

Malebranche est passionnément défendu par des disciples comme<br />

Henri Lélevel, le Père André, Pierre de Montmort ou le marquis<br />

d'Allemans. L'audience de nos philosophes s'étend d'autant plus<br />

que, depuis l'exemple de Descartes, ils écrivent en français (1).<br />

Spinoza n'a nul répondant, aucun disciple et n'offre qu'un lourd<br />

ouvrage latin inaccessible au vulgaire.<br />

Ce serait là méconnaître dans le public du xvne siècle finissant<br />

une curiosité qui n'est plus la nôtre, un attrait impénitent pour<br />

les subtilités religieuses et philosophiques, une « sensibilité méta<br />

physique » que nous ne comprenons plus et que nous apprécions<br />

mal. La vie intellectuelle, détournée par le pouvoir des ques<br />

tions économiques et politiques, exerçait toute sa vigueur cri<br />

tique sur d'obscurs problèmes abstraits. L'étonnant public des<br />

Provinciales qui se passionne pour la querelle de la grâce, nous<br />

le retrouvons partagé entre Arnauld et Malebranche sur la<br />

nature des idées ou les causes occasionnelles et plus tard entre<br />

Bossuet et Fénelon sur la doctrine du pur amour. Ne l'oublions<br />

pas : c'est ce public qui découvrit et lut Spinoza. Sans connaître<br />

l'homme, sans mettre une âme derrière ce visage fin au regard<br />

direct,<br />

Opéra Posthuma,<br />

aux lèvres closes et sinueuses qu'offre l'estampe des<br />

sans chercher encore sur ces traits les signes<br />

de réprobation qu'y découvriront les Menagiana (2), les lec<br />

teurs du temps abordèrent l'Éthique avec autant d'aisance que<br />

les plus illisibles traités d'Arnauld.<br />

Or, l'Éthique avait de quoi les séduire : une impression éton<br />

nante d'ordre et d'harmonie découlait de l'appareil géomé<br />

trique qui nous paraît maintenant le point le plus contestable<br />

de l'ouvrage. Nouvel Euclide dans un domaine traditionnellement<br />

confus,<br />

Spinoza déroulait à partir de définitions et d'axiomes<br />

un enchaînement strict de théorèmes. Toute la doctrine semblait<br />

obéir aux lois impérieuses d'un mécanisme interne; aux disciples<br />

de Descartes, aux tenants des tourbillons, aux admirateurs de<br />

Leibniz et du marquis de L'Hospital qui se passionnent avec<br />

Malebranche pour le calcul infinitésimal et recherchent la « carac<br />

téristique universelle », Spinoza semblait par ses démonstrations<br />

apporter bien plus que l'appareil démodé des syllogismes. C'est<br />

aux excès de langage des réfutateurs eux-mêmes que l'on mesure<br />

le mieux la séduction exercée par l'Éthique : Spinoza a détourné<br />

de son usage légitime une méthode divine; c'est par là qu'il<br />

(1) A l'exception de quelques attardés comme Huet (Alnelanae quaesliones,<br />

Caen, 1690).<br />

(2) Amsterdam, 1695, p. 15 : « Bien des personnes qui l'ont vu m'ont<br />

assuré qu'il était petit, jaunâtre, qu'il avait quelque chose de noir dans la<br />

physionomie et qu'il portait sur son visage le caractère de la réprobation. »

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!