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<strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
matière d'exégèse. Hobbes d'ailleurs se sent tenu à quelque pru<br />
dence (1).<br />
Spinoza devrait-il davantage au milieu intellectuel où il a<br />
vécu? Il est évident qu'en Hollande même la multiplicité des<br />
croyances religieuses, qui de plus en plus substituaient les exé<br />
gèses personnelles des théologiens aux professions de foi des trop<br />
nombreuses églises, orienta très tôt le philosophe de La Haye<br />
vers ces délicates recherches. A l'orthodoxie stricte de Vcetius<br />
qui professait à Utrecht, s'opposait le cartésien Coccejus à Leyde<br />
qui reprenait sur les Écritures l'interprétation symbolique de<br />
Maïmonide. Un ami même de Spinoza publiait en 1663 une<br />
Philosophia sanctae Scripturae Interpres : Louis Meyer croyait en<br />
effet possible de donner une interprétation cartésienne de la<br />
Bible et longtemps son ouvrage passa pour avoir été inspiré par<br />
le maître en personne.<br />
En fait, Spinoza renonce à toute explication philosophique<br />
et mystique (2). Traitant la Bible comme un texte ordinaire,<br />
écartant toute superstition qui, selon son mot, « préfère les restes<br />
des temps anciens à l'éternité même (3) », fidèle à quelques<br />
principes clairs de critique, il recherche sans les discuter le sens<br />
des textes bibliques et l'intention de leurs auteurs. Programme<br />
simple mais neuf qui nécessitait une « naïveté », une fraîcheur<br />
d'esprit incomparable, la fraîcheur des exclus et des excommu<br />
niés.<br />
Dès l'abord, dans les quatre chapitres du Tractatus qui déve<br />
loppent sa méthode d'exégèse (4), on est frappé par le caractère<br />
positif de l'argumentation. Il s'agit d'une enquête philosophique<br />
et historique qui ne se prononce pas sur la valeur, mais sur la<br />
signification d'un texte. Trois moyens sont envisagés : la langue<br />
qui exige une connaissance très poussée de l'hébreu et pour les<br />
derniers livres du canon, de l'araméen; plus particulièrement<br />
la sémantique permettra d'étudier par comparaison et par l'éta<br />
blissement de dictionnaires le sens exact des mots, leur acception<br />
littérale ou métaphorique; enfin l'histoire du peuple hébreu et<br />
la biographie des auteurs présumés éclaireront les buts pour<br />
suivis par chaque ouvrage, la transmission des œuvres, les<br />
différentes leçons et l'établissement du recueil canonique. Aucune<br />
(1) Cf. Dédicace à Francis Godolphin : « Displicebit etiam fortasse non<br />
paucis quod quaedam loca Scripturae sacrae aliter interpretari ausus sim<br />
quam ab aliis explicari soleant. »<br />
(2)<br />
losophie » (Tractatus, Appuhn, t. II, p. 13, Préface).<br />
!3) Ibid., p. 13.<br />
4) Chap. VII, VIII, IX, X.<br />
• L'Écriture laisse la raison libre et n'a rien de commun avec la phi