28.06.2013 Views

SPINOZA

SPINOZA

SPINOZA

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

LA NAISSANCE D'UNE LÉGENDE 33<br />

les vertus morales qu'un Montaigne n'a pas toujours et les qua<br />

lités sociales dont un Pascal se désintéresse. Bayle, depuis les<br />

dans un souci<br />

Pensées diverses de 1682 jusqu'au Dictionnaire,<br />

constant d'idéalisation, l'a remanié et retouché. Le Spinoza<br />

qu'il nous offre est sans faiblesses; à force de bienveillance,<br />

son visage perd peu à peu toute réalité humaine et sa vie même<br />

échappe à notre modeste condition. Nous nous refusons pour<br />

l'heure à mesurer l'exacte sympathie qui liait au solitaire de<br />

La Haye le solitaire de Rotterdam; il est possible que Spinoza<br />

n'ait été pour Bayle qu'un exemple privilégié, qu'une pièce<br />

d'échec dans son insidieuse doctrine. Il n'en reste pas moins que<br />

grâce à lui, au moment même où le spinozisme heurte tout ce que<br />

l'Europe compte de penseurs chrétiens, une légende se crée et<br />

s'affirme durablement; mais comme toute légende, elle s'appuyait<br />

sur l'histoire : le siècle qui vient fera sienne la complaisance<br />

de Bayle et verra dans Spinoza l'image optimiste et le symbole<br />

rassurant de l'athée vertueux.<br />

D. —<br />

La<br />

naissance d'une querelle.<br />

Malgré la singularité de sa vie qui très tôt devait prêter à la<br />

l'œuvre de Spinoza apparut comme un monstre aux<br />

légende,<br />

yeux des penseurs occidentaux. L'intellectualisme chrétien qui,<br />

malgré les tendances empiristes de la Société de Jésus et les<br />

timides essais de Gassendi, domine sur le continent, vit avec<br />

effroi les conséquences d'une raison débridée dont la foi ne tem<br />

pérait plus les excès. Alors qu'Aristote, copieusement glosé par<br />

les scolastiques et adapté par le thomisme, avait été assimilé<br />

par la pensée chrétienne au point d'en constituer la plus solide<br />

justification rationnelle, alors que Descartes, longtemps suspect<br />

à Rome et toujours interdit dans les collèges jésuites, pénétrait<br />

profondément les meilleurs esprits du jansénisme, inspirait l'Ora<br />

toire et fournissait de nouvelles armes à l'apologétique chré<br />

tienne,<br />

Spinoza se présentait comme un bloc inquiétant. Sa<br />

pensée, un peu raide, sa dialectique trop loyale et qui, dans son<br />

appareil mathématique , apparaissait sans fissures, ne permettaient<br />

pas d'interprétation conciliante. Aucun exégète, assez ami de<br />

l'orthodoxie et suffisamment fidèle à la doctrine du maître, ne<br />

s'offrait aux ingrates<br />

vèrent la voix en Hollande,<br />

compromissions. Quelques libéraux éle<br />

essayèrent vainement dans de hâtives<br />

réfutations de sauvegarder quelques bribes de la doctrine. L'un<br />

après l'autre, ils furent écartés sous les huées, obligés de lâcher<br />

v. VERNIÈRE, 1<br />

3

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!