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SPINOZA

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<strong>SPINOZA</strong> ET LE PROTESTANTISME FRANÇAIS 87<br />

Nouvelles de la République des Lettres, son indignation éclate;<br />

tout d'abord contre le ton violent, les injures, l'aigreur de<br />

l'ancien pasteur, et par là Bayle se trahit, car le lecteur moderne<br />

n'y est guère sensible et ne discerne pas plus d'outrance chez<br />

Aubert de Versé que dans le moindre ouvrage polémique d'Ar<br />

nauld ou de Jurieu (1); ensuite contre l'assimilation, qui lui<br />

paraît scandaleuse, de la pensée de Spinoza avec celle de Male<br />

branche; manifestement, aucun penseur chrétien, même Bayle,<br />

ne garde son sang-froid devant Spinoza. De même Moreri :<br />

« Il semble qu'il n'ait écrit que pour attaquer (Malebranche et<br />

Descartes),<br />

car ce qu'il dit contre Spinoza est la partie la plus<br />

courte de son ouvrage (2). » Reinier Leers, le fameux éditeur de<br />

Rotterdam, dans une lettre assez plate à Malebranche dont il<br />

publie les Conversations chrétiennes, voit dans son adversaire<br />

« un franc coquin (3) ». Tout cela est singulièrement injuste<br />

à l'égard d'une pensée originale qui n'affectait nulle prudence<br />

et n'admettait nul sectarisme.<br />

En fait, l'ouvrage d'Aubert de Versé, en dehors des routines<br />

intellectuelles du temps, eut une influence féconde. Pour la<br />

première fois, le lien qui mène de Descartes à Spinoza est clai<br />

rement perçu. Non seulement Spinoza doit à Descartes sa<br />

méthode, son goût impénitent de l'évidence et de la démonstra<br />

tion géométrique, son besoin d'enfermer le monde en formules<br />

abstraites, mais aussi par la double thèse de l'infinité du monde<br />

et de l'infinité de Dieu l'exigence qui mène à les identifier (4).<br />

Depuis Aubert de Versé, le cartésianisme est en état d'alerte,<br />

non pas comme en France, sur la puérile querelle de l'incompa<br />

tibilité de l'étendue cartésienne et du dogme de l'Eucharistie (5);<br />

mais sur la conception même de Dieu et du monde. Bayle est<br />

le premier à sonner l'alarme. « Cartesius spinozismi architectus<br />

aut eversor », voilà le problème que se poseront vingt libelles<br />

qu'on attribue à de Versé... Je n'en ai pas encore lu une page » (lettre à<br />

Lenfant du 5 octobre 1684, ibid., t. IV, p. 619).<br />

(1) Nouvelles de la République des Lettres, t. I, p. 157 (octobre 1684) :<br />

« Que ne se contente-t-il de raisonner?... Cela lui enlève tout droit d'écrire<br />

contre les autres. » A. Monod conserve à tort la même interprétation (op.<br />

cit., p. 37).<br />

(2) Moreri, Dictionnaire (in verbo).<br />

(3) Abbé Blampignon, Correspondance inédite de Malebranche (Paris,<br />

Douniol, 1861, p. 127) (lettre du 11 juin 1685).<br />

(4) Cf. Lachièze-Rey, Les Origines cartésiennes du Dieu de Spinoza (Pa<br />

ris, Alcan, 1932).<br />

(5) Le Père Valois, Sentimens de M. Descaries touchant l'essence et les<br />

propriétés des corps opposés à la doctrine de l'Église et conformes aux erreurs<br />

de Calvin sur le sujet de l'eucharistie (Paris, 1680, in-12); anonyme, La Phi<br />

losophie de M. Descaries contraire à la foi catholique (Paris, 1682, in-12),<br />

cf. Bouillier, op. cit. (t. 1, p. 462 sq. et 581 sq.).

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