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LA QUERELLE DE <strong>SPINOZA</strong> : « L'ÉTHIQUE » 233<br />
1707, la Cause des hérétiques discutée et condamnée par la méthode<br />
du droit (1), où il attaque sans délicatesse ses anciens coreli<br />
gionnaires, un chapitre condamne dans l'Éthique « l'abus de la<br />
géométrie » : « C'est de cette source qu'est sortie l'erreur de<br />
Spinoza qui nie qu'il y ait une substance incorporelle, parce<br />
qu'il s'imagine qu'il n'y a rien où l'on ne saurait concevoir ni<br />
lignes ni points... Cet axiome est vrai sans doute en géométrie :<br />
aucune autre chose qu'un corps ne saurait toucher ni être tou<br />
ché. Mais cet axiome est faux en parlant physiquement et notre<br />
propre expérience nous en démontre la fausseté, puisque nous<br />
avons une sensation physique par laquelle nous sommes cer<br />
tains et que nous pensons et que nos pensées influent en quelque<br />
manière dans les mouvements de notre corps (2). » Isaac Papin,<br />
avec quelque maladresse, semble opposer à la métaphysique<br />
rationnelle dont, à partir de Descartes, Spinoza marque l'extrême<br />
pointe, une philosophie de l'expérience, du sens intime, qui,<br />
intuitivement, nous assure de notre liberté et de l'existence en<br />
nous d'une substance spirituelle. La doctrine de la nécessité<br />
chère à Spinoza est un nouvel abus de la méthode géométrique;<br />
il ne s'agit pas de se demander si les miracles de Dieu sont<br />
possibles, mais s'ils sont. « Ses raisonnements prouvent unique<br />
ment que le comment est inexplicable; mais ils échouent contre<br />
l'autorité des témoins, contre la foy et contre l'évidence avec<br />
laquelle nous voyons que les faits sont constants (3). » Par<br />
cette défiance à l'égard du dogmatisme, par ce recours aux<br />
faits et à l'histoire, Papin annonce l'apologétique nouvelle de<br />
l'abbé Houteville (4).<br />
Il n'est pas moins curieux de voir Richard Simon, dans les<br />
dernières années de sa vie, dire son mot sur l'Éthique. A vrai<br />
dire, le critique ne goûte guère la métaphysique, mais comment<br />
laisser sans réponse les insultes et les plaisanteries de l'abbé<br />
Faydit contre lui-même et Malebranche (5)? Dans la mesure<br />
où on l'accuse de copier le Tractatus, il se sent solidaire de<br />
l'Oratorien accusé de tracer le même sillon que Spinoza. Or,<br />
(1) Cet essai fait partie du Recueil des ouvrages composés par feu M. Papin<br />
en faveur de la religion (Paris, Roulland, 1723, 3 vol. in-12), qui fut dédié<br />
par sa veuve à l'évêque de Blois, Jean-François de Caumartin, grand connais<br />
seur de Spinoza de même que son frère, protecteur attitré de Voltaire. Une<br />
première édition avait paru à Leyde en 1713.<br />
(2) Ibid., t. III, p. 115.<br />
(3 Ibid., t. III, p. 125.<br />
(4) La Vérité de la religion chrétienne prouvée par les faits (Paris, Dupuis.<br />
1722, in-4°).<br />
(5) Abbé Faydit, Remarques sur Virgile et sur Homère... (op. cit., p. 107-