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252 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
communique aussitôt à l'évêque d'Avranches et la fait insérer<br />
par le président Cousin dans le Journal des Savants (1). Le<br />
12 septembre 1692, Huet se félicite auprès de Nicaise de son<br />
accord avec le philosophe de Hanovre : « Ce ne m'est pas un<br />
petit sujet de joye et de gloire de voir le jugement que j'ay<br />
fait de M. Descartes et de sa doctrine confirmé par celui d'un<br />
aussi excellent homme que M. Leibniz (2). » En 1695, une lettre<br />
latine de Leibniz établit un contact direct avec Huet (3). Deux<br />
ans plus tard, après avoir longuement préparé le terrain, il<br />
lance dans une nouvelle lettre à Nicaise du 15 février 1697<br />
l'ultime accusation : « Aussi peut-on dire que Spinoza n'a fait<br />
que cultiver certaines semences de la philosophie de M. Des<br />
cartes, de sorte que je crois qu'il importe effectivement pour la<br />
religion et la piété que cette philosophie soit châtiée par le<br />
retranchement des erreurs qui sont mêlées avec la vérité (4). »<br />
La lettre, par les soins officieux de Nicaise,<br />
courait tout Paris.<br />
Sous peine de perdre la face, le parti cartésien ne pouvait plus<br />
se taire. Pressentant l'attaque, il est caractéristique que l'année<br />
précédente François Lamy avait ajouté à son Nouvel Athéisme<br />
renversé un curieux parallèle de Descartes et de Spinoza; cet<br />
appendice dénonçait « l'injustice et l'aveuglement de ceux qui<br />
prétendent que le cartisme a produit le spinozisme (5) ». Dans<br />
un raccourci vigoureux, il opposait sur trois points les deux<br />
doctrines : le dualisme cartésien était incompatible avec la<br />
notion de substance unique; Descartes partait du cogito avant<br />
d'aller à Dieu et au monde, alors que Spinoza partait directe<br />
ment de Dieu; et surtout le Dieu de Spinoza, étendu, ne visant<br />
aucune fin, sans liberté ni puissance devant la nécessité, contras<br />
tait avec le Dieu de Descartes ni étendu ni corporel, libre et<br />
tout-puissant. Lamy violemment repoussait toute assimilation :<br />
« Comme rien n'est plus capable de flétrir un auteur que de le<br />
rendre coupable des erreurs des autres,<br />
rien n'est aussi plus<br />
ordinaire à ceux qui ont dessein de décrier une doctrine que<br />
de rejeter sur ses principes les impiétés et les extravagances<br />
des libertins. C'est une injustice que l'on a faite plus d'une<br />
fois à M. Descartes et l'on n'y a pas manqué à l'occasion des<br />
impiétés de Spinoza (6). » Mais la lettre à Nicaise mettait le<br />
(1)<br />
Ibid., p. 529 (lettre du 25 octobre 1692).<br />
(2) Œuvres de Leibniz (op. cit., t. III, p. 5).<br />
(3) Ibid., t. III, p. 19 (Leibniz proposait quelques addenda à la censure<br />
de Huet).<br />
(41 Ibid., t. II, p. 563.<br />
(5) Le Nouvel Athéisme renversé (op. cil., p. 454; cf. p. 454-499).<br />
p. 454-455.<br />
(6) Ibid.,