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56 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
Pères Jésuites révéleront à l'Occident la sagesse des Indes et de la<br />
Chine.<br />
L'accueil fait à ces réfutations mystiques par le protestan<br />
tisme français fut assez froid. Opposer à l'impiété une expérience<br />
personnelle est inefficace : le croyant n'en a nul besoin et n'a<br />
qu'à sonder son cœur. Mais les esprits forts s'en rient : « Ils<br />
veulent qu'on les paye de démonstrations... et on ne gagne rien<br />
avec eux si on ne les pousse jusqu'aux derniers retranchements<br />
avec de plus fortes armes que ne sont les moralités et les proba<br />
bilités », dira Bayle qui connaît le libertinage (1). Lorsqu'il<br />
était encore professeur à Sedan, Bayle avait rédigé, à la demande<br />
du pasteur de Metz, David Ancillon, une courtoise réponse à<br />
Pierre Poiret (2), mais en 1685, son compte rendu de la deuxième<br />
édition est assez ironique (3). Or, Bayle est encore à cette époque<br />
en accord avec les meilleurs esprits du protestantisme devenu,<br />
après cent ans de controverses avec l'Église romaine, intellec<br />
tualiste et raisonneur à souhait. Leur ambition, depuis l'Histoire<br />
des variations de Bossuet, est de constituer une orthodoxie rigou<br />
reuse, autoritaire, capable de réprimer les excès enthousiastes<br />
des labadistes ou de la Bourrignon dont les catholiques se<br />
gaussent. Jurieu ne représentera que l'aile extrême d'une ten<br />
dance générale chez les pasteurs de l'exil. Aussi la réfutation de<br />
Spinoza va-t-elle prendre un tout autre tour; après les mystiques,<br />
viendront les docteurs.<br />
Or, dangereuse coïncidence, au moment même où, devant<br />
les signes visibles d'une révocation prochaine de l'Édit de Nantes,<br />
le protestantisme à la recherche d'une unité spirituelle regroupe<br />
ses forces et ses idées, voici que Spinoza est reproché à l'esprit<br />
même de la Réforme, comme un exemple funeste de la tolérance<br />
et du libre examen. Après Stoupe qui sommait les théologiens<br />
de Hollande de réfuter l'impie sous peine d'être déclarés com<br />
plices, Arnauld intervient de Bruxelles où il est réfugié depuis<br />
1679 : « Enfin d'où sont venues les principales de ces méchantes<br />
t1» (1)<br />
t. Il,<br />
Nouvelles de la République des Lettres (1684, in Œuvres ' '<br />
diverses,<br />
II, p. 309).<br />
(2) Composées en 1679, ses «Objectiones in libros quatuor de Deo, anima<br />
et malo » se retrouvent dans les Œuvres diverses, t. IV, p. 132 sqq. (cf. Delvolvé,<br />
Pierre Bayle, Alcan, 1906, p. 31).<br />
(3) Nouvelles de la République des Lettres (avril 1685, 1. 1, p. 274) : « M. Poi<br />
ret a tellement renoncé à l'esprit du monde que de peur de l'offenser jelne<br />
donne pas à son livre les éloges qui lui sont dus. »