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94 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
avait-il trop parlé sous la torture,<br />
alimentant par avance les<br />
bavardages des Menagiana sur son élève?<br />
A côté de ces conjectures, le rôle joué par Christian Huygens<br />
prend un tout autre relief. Né en 1629, Christian Huygens<br />
sort d'une des plus brillantes familles du patriciat hollandais.<br />
Son père Constantin, poète, diplomate, d'une intelligence éclairée<br />
et libérale, est ouvert aux influences françaises au point d'être<br />
traité par Balzac de « Hollando-Français ». Dès l'âge de sept ans,<br />
Christian apprend notre langue; à quatorze ans, il écrit ses pre<br />
mières lettres françaises à son père et toute sa vie conservera<br />
cette habitude. A Leyde où il étudie, la lutte bat son plein entre<br />
Descartes et ses adversaires. Jusqu'à la mort du philosophe en<br />
1650, qu'il a personnellement connu chez son père à La Haye,<br />
il fera figure de disciple et on le verra rédiger son épitaphe en<br />
maladroits vers français (1). Tout jeune encore, il correspond<br />
avec Mersenne et Pascal. Un premier voyage à Paris lui fait con<br />
naître Gassendi et l'Académie de Montmor : à Angers, il acquiert<br />
le titre de docteur en droit. Sa découverte d'un satellite de<br />
Saturne le lie en 1656 avec l'influent personnage qu'est Chape<br />
lain (2). Roberval, Carcavy, Pascal s'émerveillent devant son<br />
Horologium oscillatorium (3). Un deuxième voyage à Paris<br />
d'octobre 1660 à mars 1661 consacre sa célébrité : toute une<br />
élite scientifique et mondaine l'accueille. En 1663, Colbert<br />
alerté par Chapelain l'inscrit pour 1.200 livres de pension aux<br />
côtés de Molière, Corneille et Racine (4) et, au cours d'un troi<br />
sième séjour à Paris, le consulte sur la fondation d'une Académie<br />
des Sciences. Enfin, le 18 février 1666, une lettre de Carcavy<br />
confirme une invitation officielle du ministre : Christien Huygens<br />
est chargé de diriger les travaux de la nouvelle Académie : à<br />
Paris l'attendent une pension de 6.000 livres et un logement à la<br />
ministre fort zélé pour la religion, il ne jugea pas à propos de souffrir Spi<br />
noza en France où il était capable de faire bien du désordre et, pour l'en<br />
empêcher, il résolut de le faire mettre à la Bastille. Spinoza, qui en eut avis,<br />
se sauva en habit de cordelier; mais je ne garantis pas cette dernière circons<br />
tance... » (Menagiana, Amsterdam, 1693; Paris, Delaulne, 1715, t. III, p. 30).<br />
L'anonyme Rencontre de Bayle et de Spinoza dans l'autre monde (Cologne,<br />
Pierre Marteau, 1711, p. 9-10) insiste sur les liens de Spinoza et de Van den<br />
Enden et décrit la torture de ce dernier : « Quand Louis Bourdaloue le vit<br />
prez de la Bastille sur le point d'être pendu, luy demanda : « Estes-vous<br />
« Van den Enden? » Cela marque que cet ignacien l'aura désaitéizé (sic) .<br />
Voilà la fin véritable de votre maître. »<br />
(1) Henri L. Brugmans, op. cit. (p. 19).<br />
(2) De Saturni luna Observalio nova (La Haye, 1656, in-4").<br />
(3) Dès 1656, il avait découvert la formule de l'horloge à pendule. L'ou<br />
vrage parut en 1658.<br />
(4) Gabriel Peignot, Documents authentiques sur les dépenses de Louis XIV<br />
(Paris, 1827, in-8», p. 51 et 57), cité par Brugmans, op. cit. (p. 58).