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BAYLE ET BOULAINVILLER 295<br />
toutes les difficultés de cet ouvrage (1) ». Prudence ou inconsé<br />
quence? Il faut en avoir le cœur net.<br />
Nous sommes donc amenés à chercher dans l'œuvre de Bayle,<br />
non pas l'aveu d'emprunts littéraux, mais l'esprit même du<br />
Tractatus. Autre chose est de déclarer un ouvrage « pernicieux<br />
et détestable (2) », autre chose de s'en inspirer et d'en admettre<br />
les thèses. S'agit-il de critique biblique? Bayle, qui ne connaît<br />
pas l'hébreu, n'a pas les moyens de rivaliser avec Spinoza ou<br />
Richard Simon et reconnaît hautement la mosaïcité du Pen<br />
taleuque et l'inspiration des Écritures. Mais pourquoi insinuer<br />
le désaccord de la Genèse et de Flavius Josèphe au sujet d'Abi-<br />
mélech? Faut-il conclure que l'historien juif « a cru que le<br />
sentiment particulier qu'il avait sur la faillibilité et par consé<br />
quent sur la non-inspiration de Moïse, était commun parmi les<br />
Juifs »? (3) Faut-il admettre les contradictions évidentes du<br />
livre de Judith et de l'histoire de David : « Si une narration<br />
comme celle-ci se trouvait dans Tite-Live ou dans Thucydide,<br />
tous les critiques concluraient unanimement que les copistes<br />
auraient transposé des pages, oublié quelque chose en un lieu,<br />
rejeté quelque chose dans un autre,<br />
ou inséré des morceaux<br />
postiches dans l'ouvrage de l'auteur. Mais il faut bien se gar<br />
der de pareils soupçons lorsqu'il s'agit de la Bible (4). » Le bon<br />
apôtre ne convainc personne.<br />
S'agit-il du miracle? Le critère cui bono des Pensées sur la<br />
comète était déjà fort inquiétant, lorsqu'il s'appliquait au « cor<br />
induravit Pharaonis ». Mais faut-il croire Bayle lorsque la note<br />
R de l'article Spinoza dénonce « l'illusion » des spinozistes dans<br />
leur négation du miracle? Les miracles de l'Écriture, proclame-<br />
t-il,<br />
ne sont pas des « tours de souplesse » : « Laissons-leur le<br />
front d'airain qu'il faut pour nier les faits de cette nature (5) »,<br />
attaquons leurs principes; si la puissance de la nature est infi<br />
nie, elle peut ressusciter un mort. Mais Bayle ne prouve pas la<br />
réalité des miracles; il se borne à montrer que le spinozisme<br />
devrait les admettre, ce qui est tout différent. Pourquoi donc<br />
choisir le miracle le plus grossier de l'Écriture, celui de Jonas,<br />
et insister sur l'impossibilité physique d'un tel prodige (6)?<br />
Pourquoi ne pas admettre la légende d'Arion? Bayle va même<br />
plus loin que Spinoza en renvoyant dos à dos toutes les relj-<br />
II) Dictionnaire (édit. 1734, t. V,<br />
2) Ibid., édit. 1734, t. V,<br />
3) Ibid., article Abimélech (t. I,<br />
p. 209-210).<br />
p. 205.<br />
p. 41, remarque C).<br />
4) Ibid., article David (t. II, p. 576, remarque C).<br />
5) Ibid., t. V, p. remarque 217, R.<br />
6) Ibid., article Jonas (t. III, p. 464-465).