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102 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
écrit à son sujet une lettre, si vous vous le rappelez ». (1) Spinoza<br />
a été si souvent trahi que sa réponse est un chef-d'œuvre d'intel<br />
ligence matoise : « Autant que je puis le conjecturer par ses let<br />
tres, il m'a paru être un homme d'esprit libéral et versé dans<br />
toutes les sciences. Je croirais inconsidéré cependant de lui<br />
communiquer si vite mes écrits. Je voudrais savoir d'abord ce<br />
qu'il fait en France et connaître le jugement que portera sur<br />
lui notre ami Tschirnhaus, quand il l'aura fréquenté plus long<br />
temps et aura de son caractère une connaissance plus intime (2). »<br />
Évidemment Spinoza n'est pas dupe des avances de Leibniz,<br />
pas plus que des lettres malheureusement perdues que le con<br />
seiller de Mayence lui avaient envoyées sur le Tractatus; n'au<br />
rait-il pas aussi eu vent de ce projet de croisade qui justifiait<br />
sa mission? Le libérale ingenium du jeune Allemand a des aspects<br />
aventureux qui ne plaisent guère à la sérénité spinoziste.<br />
Nous avons la certitude que Tschirnhaus ne sut garder pour<br />
lui ses secrets. Leibniz nous a conservé le résumé des aveux<br />
dans une note découverte par Gerhardt (3) : « M. Tschirnhaus<br />
m'a conté beaucoup de choses du livre manuscrit de Spinoza...<br />
Le livre... sera de Deo, mente, beatitudine seu perfecti hominis<br />
idea, de Medecina mentis, de Medicina corporis... », sorte de<br />
brouillon grossier où l'on retrouve à peu près le plan et les idées<br />
essentielles de l'Éthique mêlées à de curieux éléments allogènes<br />
comme la transmigration des âmes (4). Peu importe d'ailleurs<br />
la pureté du spinozisme que peut dispenser Tschirnhaus à cette<br />
époque : lui-même et Leibniz attentif à ses côtés, attendent les<br />
réponses aux lettres du 2 mai et du 23 juin 1676 qui désormais<br />
se passent de l'intermédiaire de Schuller (5). Lorsqu'en octobre<br />
de la même année Leibniz quittera la France pour rejoindre<br />
Hanovre, il n'aura de cesse qu'il n'ait vu Spinoza à La Haye<br />
et, au cours d'une conférence dans l'humble logis du Paviljœnsgracht,<br />
lui proposera des objections écrites qu'on retrouvera<br />
dans ses papiers (6).<br />
(1) Appuhn, t. III, p. 346 (lettre 70).<br />
(2) Ibid., p. 349 (lettre 72 du 18 novembre 1675).<br />
(3) Sitzungsberichte der preuss. Akademie der Wissensch. (28 novembre<br />
1889, p. 1076). Texte reproduit dans Freudenthal, op. cit., p. 201, et<br />
complété par Couturat, Opuscules et fragments inédits de Leibniz (Paris,<br />
1903, p. 523).<br />
(4) Cf. Friedmann, op. cit., p. 62.<br />
(5) Appuhn, t. III, lettres 81, 82, 83 (p. 367 sq.).<br />
(6) Correspondance (Philosoph. Brief., Erster Band, p. 131). Note sous le<br />
titre : « Quod ens perfectissimum existit >, qui est une présentation nouvelle<br />
de l'argument ontologique, et une subscription : « ratiocina-<br />
Ostendi hanc<br />
tionem D. Spinozae cum Hagae Comiti6 essem qui solidam esse putavit;<br />
cum enim initio contradiceret, scripto compreheadi et banc schedam ei