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<strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
claire; il n'est point « d'autre antidote (à ces impiétés) que leur<br />
propre obscurité (1) ».<br />
Bossuet, dans l'autre camp,<br />
reprendra le même argument.<br />
Mais contre ces politiques soucieux d'immédiate efficacité, contre<br />
leur prudence à courte vue, se lèvent alors les grands pasteurs<br />
de l'exil. Tour à tour, on voit la vérité chrétienne dogmatique<br />
ment défendue par Jacques Abbadie, Isaac Jaquelot et Jean<br />
La Placette.<br />
Jacques Abbadie est le plus grand et le cède à peine en richesse<br />
intellectuelle et en efficacité à Pascal et à Bossuet. Mais il<br />
ne faut pas que son succès qui dura deux siècles et l'approba<br />
tion enthousiaste des meilleurs catholiques à son Traité de la<br />
vérité de la religion chrétienne puissent nous abuser (2). On com<br />
prend l'admiration de Bussy, de Mme de Sévigné, de Montau-<br />
sier, de Pellisson devant l'ordre pyramidal de son édifice, mais<br />
les matériaux manquent de solidité. Une impression de travail<br />
bien fait, à l'usage du grand public; un art de contourner les<br />
difficultés, d'éluder les réponses par l'appel généreux au bon<br />
sens. Rien de ce qu'il faut pour comprendre et ruiner la méticu<br />
leuse méthode de Spinoza.<br />
Sa jeunesse l'excusait. Ce Béarnais avait trente ans lorsque<br />
parut sa célèbre apologie du christianisme (3). Ancien étudiant<br />
des académies de Puylaurens et de Saumur, c'est à Sedan qu'il<br />
devenait docteur en théologie : il avait dix-sept ans. Avant 1680,<br />
il put y connaître Bayle et Jurieu qui n'étaient pas encore les<br />
frères ennemis. Il goûte Descartes, mais comme Bossuet, en<br />
docteur qui l'utilise, non en disciple qui s'en éprend, tout en<br />
gardant d'ailleurs des candeurs premières de la Réforme le sens<br />
profond de la religion intérieure. Plus éclectique que 'Pascal, il<br />
ne rejette aucun argument : « Comme la religion chrétienne a une<br />
lumière qui éclaire et une force qui sanctifie, il y a aussi deux<br />
sortes de preuves qui font connaître la vérité; les unes qu'on<br />
peut appeler les preuves de l'esprit et les autres qu'on peut nom<br />
mer les démonstrations de la conscience. Les premières consistent<br />
(1) Nouvelles de la République des Lettres(in Œuvres diverses, t. I,rp. 71).<br />
(2) A consulter Haag, La France prolestante (2e édit., Paris, Saiidoz et<br />
Fischbacher, 1877, t. I, p. 10 sqq.) (biographie et ttooignages contempo<br />
rains).<br />
(3) Traité de la vérité de la religion chrétienne (Rotterdam, Relnier Leers,<br />
1684).