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<strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
effort pour pénétrer le sens profond de l'Éthique et n'a touché<br />
l'ouvrage qu'avec dégoût (1). Mais aussi il l'a haï, non pas tant<br />
comme un adversaire de sa religion que parce que toute sa vie<br />
on crut entre eux à une parenté intellectuelle. On ne saurait<br />
pourtant le lui reprocher. La contradiction était à l'intérieur<br />
même de Malebranche, comme elle avait été peut-être chez Des<br />
cartes : l'impossibilité de concilier la stricte méthode rationnelle<br />
avec les dogmes d'une religion révélée. L'énigme du système<br />
de Malebranche, c'est le drame même de son âme qui fait que<br />
ce cartésien mourra en fidéiste. Mais ce drame, c'est aussi celui<br />
d'une époque, celui du rationalisme chrétien déchiré entre des<br />
exigences contradictoires. Il serait vain de regretter que, dans<br />
cette crise intellectuelle où le salut des âmes compte plus qu'une<br />
éphémère loyauté, Malebranche, « ce frère chrétien de Spi<br />
noza (2) », comme disait Renouvier, n'ait pas été l'introducteur<br />
naturel de l'Éthique dans le champ de la pensée française et<br />
qu'il ait laissé ce mérite à un vulgarisateur comme Bayle, qui<br />
ne le valait pas.<br />
Si Fénelon,<br />
2° Fénelon et Spinoza.<br />
xvme<br />
dans l'opinion du siècle, passa pour l'un<br />
des réfutateurs les plus sérieux de Spinoza, il dut sans doute<br />
cette réputation à la diffusion en 1731 du recueil hétérogène<br />
publié à Bruxelles où l'éditeur, l'abbé Lenglet Dufresnoy, l'avait<br />
étrangement associé ainsi que François Lamy à l'analyse de<br />
l'Éthique de Boulainviller; c'était d'ailleurs fort peu de chose,<br />
un fragment de lettre que l'on pouvait déjà lire en appendice<br />
du Nouvel Athéisme renversé (3). En effet, par humilité ou par<br />
paresse, l'archevêque de Cambrai, exception faite du Télémaque,<br />
dédaigna sa vie durant d'éditer ses ouvrages; et ce n'est qu'après<br />
sa mort que sa mémoire et son œuvre furent défendues par le<br />
chevalier de Ramsay et le marquis Gabriel Jacques. Il n'est<br />
donc pas facile de saisir historiquement les circonstances de sa<br />
rencontre avec Spinoza.<br />
(1) « Je n'ai point lu les réfutations qu'on a faites de ses erreurs, car je<br />
n'en ai pas besoin... « », je n'ai pas écrit ex professa contre l'auteur... »,<br />
« j'en fus bientôt dégoûté •, etc. (lettre du 29 septembre 1713, in Cousin,<br />
op. cil., p. 272).<br />
(2) In La Critique philosophique (1er juin 1876, p. 274).<br />
(3) Réfutation des erreurs de Benoit de Spinoza, par M. de Fénelon, arche<br />
Boullain-<br />
vêque de Cambrai, par le P. Lamy bénédictin et par M. le comte de<br />
villiers (Bruxelles, François Foppens, 1731). En fait, il n'y a sur 483 pages<br />
que 10 pages de Fénelon (p. 376-386), dont le nom couvre évidemment la<br />
marchandise de Boulainviller.