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104 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
politiques de son éviction. Tschirnhaus fait de même : au cours<br />
de son troisième voyage en France en 1682, sa théorie des caus<br />
tiques lui ouvrira l'Académie qui en 1699 l'associera à titre<br />
étranger (1). Mais ces petitesses bien humaines ne doivent pas<br />
nous faire oublier l'importance de leur rôle. C'est bien dans ce<br />
cercle étranger et surtout dans la Bibliothèque du Roi, rue<br />
Vivienne, où logeait Huygens,<br />
qu'on a parlé pour la première<br />
fois de Spinoza en France intelligemment, en toute connais<br />
sance de cause. Nous saisissons au vif dans quelle atmosphère<br />
de mystère et de contrebande intellectuelle, dans quel lacis<br />
d'indiscrétions et de réticences la doctrine de Spinoza a pu<br />
cheminer peu à peu dans la pensée française. Mais à qui sont<br />
allées ces confidences, à qui les livres dangereux furent-ils prêtés,<br />
quels milieux furent touchés par cette involontaire propagande?<br />
Ce qui nous frappe tout d'abord, c'est le caractère spécial et<br />
relativement réduit de l'élite française mise en contact avec<br />
nos étrangers : ni grands seigneurs, ni prélats, ni salons littéraires<br />
ou mondains. Avant tout, c'est le milieu d'érudits qui fréquentent<br />
la Bibliothèque du Roi et d'hommes de science qui deux fois<br />
par semaine réunis rue Vivienne constituent l'Académie. Grâce<br />
au patronage de Huygens, maître de céans, Leibniz multiplie<br />
les conversations scientifiques avec Cassini, Carcavy, Ismaël<br />
Bouillaud, Frénicle, l'abbé Mariotte et même Malebranche (2).<br />
Grâce à l'amitié d'Arnauld, il connaît le cartésien Clerselier et<br />
Périer, le neveu de Pascal. Mais géomètres, physiciens, astro<br />
nomes et même philosophes ne se souciaient guère de l'obscur<br />
Spinoza. Il faut s'y résoudre : les grands esprits,<br />
surtout au<br />
xvne<br />
siècle, ne sont guère curieux et Arnauld ne semble nulle<br />
ment à cette époque avoir senti le danger possible du Tractatus.<br />
Il en est tout autrement de personnalités plus effacées, esprits<br />
libres et d'autant plus chercheurs qu'ils ne sont pas originaux,<br />
des amateurs plutôt que des hommes de science, des érudits<br />
plutôt que des hommes de lettres, pleins de cette naïveté ency<br />
clopédique qui fleurira plus tard dans nos académies de province.<br />
Tous fort bien en cour d'ailleurs, sachant concilier leurs goûts<br />
—<br />
avec les intérêts de leur carrière : presque tous et ce n'est pas<br />
un hasard, —<br />
car c'est le maître de l'heure sont des créatures ou<br />
(1) Cf. Éloge de Fontenelle (Œuvres, Paris, Bastien-Servières, 1790, t. VI,<br />
p. 245 sq.).<br />
(2) Davillé, loc. cit. (Band XXVI, p. 67-78).