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LA QUERELLE DE <strong>SPINOZA</strong> : « L'ÉTHIQUE » 275<br />
sophe, deux hommes dont l'un dit oui et l'autre non, dont l'un<br />
se trompe et l'autre croit la vérité, dont l'un est scélérat et<br />
l'autre est un homme très vertueux,<br />
ne sont qu'un même être<br />
indivisible. C'est ce que je défie tout homme sensé de croire<br />
jamais sérieusement dans la pratique. La secte des spinozistes<br />
est donc une secte de menteurs et non de philosophes (1). »<br />
Ainsi donc, durant la dernière partie de sa vie, Fénelon a<br />
été amené, un peu à contrecœur, à combattre Spinoza. Si nous<br />
oublions le dernier épisode où la violence est due aux circons<br />
tances, on ne peut qu'admirer la vigueur et l'aisance, auxquelles<br />
Arnauld ni même Malebranche ne nous ont guère habitués, et<br />
la sobriété, dont Lamy n'était pas capable, de sa discussion<br />
philosophique. En face du spinozisme, il campe les meilleurs<br />
arguments que lui fournissent le christianisme avec l'idée de<br />
création, Descartes avec la dualité de substance,<br />
Bayle enfin<br />
avec l'idée de l'infini indissociable. Nul ne semblait donc mieux<br />
armé que Fénelon pour donner à son siècle la réfutation défir<br />
nitive qu'il attendait. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait? Fénelon l'a<br />
lui-même avoué : il ne croit pas sérieusement au danger du<br />
spinozisme et en cela, sa clairvoyance est moindre que celle<br />
de Bossuet; aussi n'a-t-il pas étudié Spinoza avec soin et son<br />
contact avec lui est extrêmement superficiel. Mais une raison<br />
demeure inavouée : dans les contradictions de sa doctrine propre,<br />
dans les détours subtils qui lui sont familiers, n'aurait-il pas<br />
rejoint des conclusions qu'un Spinoza n'aurait pas désavouées?<br />
N'aurait-il pas préféré, devant une parenté odieuse obscuré<br />
ment sentie, en rester à un fantôme rassurant du spinozisme?<br />
Or, l'argument essentiel qu'adresse Fénelon à Spinoza, à<br />
savoir l'impossibilité d'un infini divisible, ne fait que reprendre<br />
un vieux problème longuement médité par le philosophe hol<br />
landais. Dans sa lettre à Louis Meyer (2), quatorze ans avant<br />
la parution de l'Éthique, ce dernier donnait déjà par avance<br />
toute satisfaction à Fénelon. Pour tous deux en effet, il existe<br />
deux notions d'infini qu'il faut rigoureusement distinguer : l'un<br />
qui est divisible et l'autre qui ne peut être divisé en parties<br />
(1) Édit. Didot, t. I, p. 154-155.<br />
(2) Edit. Appuhn, t. III, p. 150 (n» 12, lettre du 20 avril 1663). La distinc<br />
tion capitale de l'èternilé où se situe l'infini indivisible de la substance et<br />
de la durée où se déploie l'infini divisible des modes, n'a pas été comprise<br />
par les exégètes anciens du spinozisme.