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SPINOZA

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LA NAISSANCE D'UNE LÉGENDE 15<br />

sa venue, que Dehénault ait visité « comme une des curiosités<br />

de la résidence », pour reprendre le mot de G. Cohen (1), l'humble<br />

philosophe dans sa retraite de Voorburg, près de La Haye (2).<br />

Il est probable, si la visite a eu lieu, que Spinoza n'a guère<br />

apprécié les centons lucrétiens de l'apprenti philosophe et que,<br />

malgré sa politesse native, il l'a laissé voir. Mais, en 1668-1669,<br />

ce n'est qu'en Hollande que Dehénault a pu apprendre l'exis<br />

tence de Spinoza et avoir vent de sa discrète renommée. L'anec<br />

dote de Bayle, même si elle n'a pas plus de valeur que tant d'ana<br />

récoltés au cours du siècle, prouve en tout cas le désarroi des<br />

libertins français en quête de chefs et de doctrines et associe<br />

pour la première fois leur nom à celui de Spinoza.<br />

Nos libertins avaient d'ailleurs en Hollande depuis 1665 un<br />

représentant plus honorable et un interprète mieux qualifié (3).<br />

Ce n'était certes pas une ambassade qui avait conduit Charles<br />

de Saint-Denis, sieur de Saint-Évremond, dans ce pays où selon<br />

ses dires « les lois mettent à couvert des volontés des hommes<br />

et où, pour être sûrs de tout, il suffit que nous soyons sûrs<br />

de nous-mêmes ». C'était pour lui un exil paisible, sinon doré,<br />

que cette auberge tenue à La Haye par un compatriote, Michel<br />

Bussy, à l'enseigne du « Dauphin de France ». En tout cas, le<br />

loisir studieux qui lui laissait écrire ses Observations sur Salluste<br />

et Tacite et sa dissertation sur l'Alexandre lui permettait aussi<br />

de fréquenter les doctes du pays. Écoutons son biographe<br />

Des Maizeaux : « M. de Saint-Évremond se fit aussi un plaisir de<br />

voir quelques savants et quelques philosophes célèbres qui étaient<br />

alors à La Haye et particulièrement Heinsius, Vossius et Spinoza;<br />

« ce dernier, me disait-il un jour, avait la taille médiocre et la<br />

« physionomie agréable. Son savoir, sa modestie et son désinté-<br />

« ressèment le faisaient estimer et rechercher de toutes les per<br />

ce sonnes d'esprit qui se trouvaient à La Haye. Il ne paraissait<br />

« point dans ses conversations ordinaires qu'il eût les sentiments<br />

« qu'on a ensuite trouvés dans ses Œuvres posthumes. Il suppo-<br />

« sait un Être distinct de la matière qui avait opéré les miracles<br />

(1) G. Cohen, Le Séjour de Saint-Évremond en Hollande (in Revue de<br />

Littérature comparée, 1926, p. 62).<br />

(2) Spinoza résidait encore le 5 septembre 1669 à Voorburg, chez le<br />

peintre Daniel Tydeman (cf. Œuvres, édit. Appuhn, t. III, p. 265).<br />

(3) L'essentiel de notre documentation provient du remarquable article<br />

de Gustave Cohen, Le Séjour de Saint-Évremond en Hollande (in Revue<br />

de Littérature comparée, 1925, p. 431 sq.; 1926, p. 28 sq. et p. 402 sq.).

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