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<strong>SPINOZA</strong> ET LE PROTESTANTISME FRANÇAIS 59<br />
en connaissance et les autres en sentiment (1) ». En 1680, le<br />
comte d'Espence, ambassadeur de l'électeur de Brandebourg<br />
frappé de son éloquence, l'engage au nom de son maître pour<br />
diriger l'église française de Berlin et le voici sur les routes d'Al<br />
lemagne, après un séjour en Hollande. C'est sur les bords de la<br />
Sprée qu'il achèvera son ouvrage.<br />
Abbadie traque le même ennemi que Pascal : le libertin qu'il<br />
pourchasse dans tous les refuges de la politique et de la philo<br />
sophie. Par là même, sa rencontre avec Spinoza n'est qu'un<br />
éP>sode- H le connaît peu et mal, ne s'est jamais aventuré dans<br />
l'Éthique et ne conserve du Tractatus que les thèses les plus<br />
voyantes et les plus dangereuses. Lorsqu'il énumère les diffé<br />
rents aspects de l'athéisme et en arrive à la traditionnelle as<br />
similation de la nature et de Dieu, ce n'est pas à Spinoza qu'il<br />
s'en prend, mais au panthéisme stoïcien et à l'Amphitheatrum<br />
de Vanini (2). Lorsqu'il mentionne Spinoza, il le cite dans la<br />
traduction française de 1678 et l'on croirait volontiers que son<br />
informateur fut Bayle à Sedan (3); rien n'indique qu'il ait recher<br />
ché en Hollande de plus grandes précisions. Ce serait d'ailleurs<br />
contraire à son but : il ne tient pas à isoler un adversaire précis,<br />
mais à écraser l'esprit général d'incrédulité et à dresser, en face<br />
d'objections disparates, la vaste synthèse chrétienne que son<br />
siècle attend et que Pascal n'avait pu parfaire.<br />
Tant qu'il déroule les harmonies de la révélation naturelle<br />
et qu'il retrouve la présence de Dieu dans la nature, la société<br />
et le cœur de l'homme, tant qu'il affirme avec Descartes la<br />
valeur de la preuve ontologique et l'efficacité de l'esprit qui de<br />
son existence même postule celle de Dieu, Abbadie ne saurait<br />
se heurter à Spinoza. Mais lorsqu'il aborde la révélation judaïque<br />
et qu'il veut superposer au déisme le Dieu des Écritures, Spinoza<br />
est présent à toutes les issues. La grande idée de Spinoza est<br />
que la Bible ne comporte pas une révélation privilégiée, mais<br />
que la loi morale, donc divine, qui l'inspire émane de consciences<br />
humaines; le message du prophétisme juif est une révélation<br />
purement naturelle adaptée à un peuple grossier et primitif<br />
et qu'il faut interpréter à la lumière de l'histoire et de la philo<br />
logie. Que la Bible soit dès lors un ouvrage de piété et non de<br />
philosophie ne heurte nullement Abbadie. Il accepterait volon<br />
tiers avec Spinoza le double accès à Dieu par l'intelligence et<br />
(1) Cf. Monod, op. cit. (p. 137).<br />
(2 Traité de la vérité... (p. 121 et 126).<br />
(3) Cf lettre de Bayle à Minutoli du 26 mai 1679 (in Œuvres diverses,<br />
t. IV, 574).