You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
192 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
de sa Justice et de sa Charité divines, c'est-à-dire des attributs<br />
qui sont tels que les hommes les puissent imiter en suivant une<br />
certaine règle de vie (1). » Mais les conséquences d'une telle<br />
doctrine sont graves. Spinoza ne dissimule pas un certain mépris<br />
pour cette manière d'aller à Dieu. Cette vie pieuse n'est pas<br />
le résultat d'une intelligence libre, d'une volonté éclairée. Moïse<br />
exige l'amour de Dieu « comme des parents ont accoutumé<br />
d'enseigner des enfants privés de raison (2) ». Voilà pourquoi le<br />
culte et l'amour de Dieu furent pour les Hébreux « plutôt une<br />
servitude qu'une vraie liberté, une grâce et un don de Dieu (3) ».<br />
Et Spinoza insiste : ce n'est pas par des menaces et des ordres<br />
que l'on peut accéder à la vraie béatitude. Derrière l'historien<br />
et le critique du Tractatus apparaît déjà le philosophe de l'Éthique:<br />
la connaissance prophétique comme toute connaissance révélée,<br />
tout en étant la voie la plus commode du salut pour le vulgaire<br />
et d'une incontestable efficacité pour la stabilité de l'État, est<br />
un mode de connaissance inférieur fondé sur l'imagination,<br />
celui qu'il appellera connaissance du premier genre; un théorème<br />
de l'Éthique le dira brutalement : C'est la connaissance du second<br />
et du troisième genre et non celle du premier qui nous enseigne<br />
d discerner le vrai du faux (4). Mais une foi ainsi fondée n'est<br />
pour Spinoza qu'une foi provisoire, chancelante, toujours menacée<br />
dans la mesure où la crainte s'efface et l'esprit d'obéissance<br />
s'abolit. Il faut pour lui que l'homme accède au vrai par un<br />
progrès intérieur qui le mène de l'imagination à la raison rai<br />
sonnante puis intuitive : là seulement la connaissance de Dieu<br />
se confondra avec l'amour de Dieu dans la béatitude, amor<br />
intellectualis Dei (5).<br />
Mais alors que Spinoza éliminait le miracle du monde, nous<br />
constatons qu'il traite avec plus de nuances de la prophétie.<br />
Cependant la prophétie n'est plus pour lui un miracle d'ordre<br />
intellectuel et la connaissance révélée n'est plus d'un ordre<br />
privilégié. Les prophètes ne sont que des hommes, avec leurs<br />
faiblesses et leurs préventions, et leur puissance d'imagination<br />
ne les met pas en dehors de la nature humaine (6). De même<br />
(1) Appuhn, t. II, p. 265.<br />
(2) Ibid., p. 59.<br />
3) Ibid., p. 59.<br />
(4) Éthique, livre II, théorème 42.<br />
(5) Ibid., livre V, théorème 42.<br />
(6) Tract, theol.-pol., note 3, de la main de Spinoza (Appuhn, t. II, p. 392) :<br />
f Bien que certains hommes possèdent des dons que la Nature refuse aux<br />
autres, on ne dit pas cependant qu'ils dépassent la nature humaine, à<br />
moin9 que les caractères par où ils se distinguent ne soient tels qu'on ne<br />
puisse les percevoir par la définition de la nature humaine... S'il se trouvait