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88 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
et que résoudront en sens contraire Leibniz, François Lamy,<br />
Wolff et le cardinal Gerdil (1).<br />
J. Regius, Ruardus Andala,<br />
Par là même,<br />
Aubert de Versé force les cartésiens à prendre<br />
conscience de leur originalité, encourage Malebranche et Leibniz<br />
à sortir d'une ornière dangereuse en poursuivant en dehors de<br />
Spinoza des voies nouvelles d'évolution cartésienne.<br />
Mais Aubert de Versé n'a pas seulement contribué à l'écla<br />
tement du cartésianisme et à sa dispersion; par son analyse,<br />
il prouve aussi la pénétration du spinozisme; non seulement il<br />
en découvre les sources, mais il en accuse l'efficacité. Bien avant<br />
Voltaire (2), il renonce devant l'Éthique à l'idée de création. Lors<br />
même qu'il critique la notion de liberté divine et qu'il s'étonne<br />
devant l'assimilation de la liberté et de la nécessité, il ne fait<br />
que préciser le caractère rigoureux du déterminisme de Spinoza (3)<br />
et préfigure, dans une réfutation qui n'est qu'une exégèse, le<br />
dessein du disciple prudent que fut Boulainviller. N'allons pas<br />
trop loin cependant : le socinianisme libéral d'Aubert de Versé,<br />
sa connaissance du cartésianisme hollandais qui, par l'enseigne<br />
ment d'un Geulincx ou d'un Clauberg (4), annonçait déjà Spi<br />
noza, le poussent à une intelligente compréhension de l'Éthique;<br />
mais par sa répulsion pour les idées innées, par son empirisme<br />
qui fait de la pensée « un pur accident à la matière (5) », une simple<br />
perception de l'étendue, il annonce aussi Locke qui vers 1682<br />
précisément s'est réfugié en Hollande. original pour Trop faire<br />
(1) Pour la complicité des deux systèmes, Leibniz (lettre à l'abbé Nicaise,<br />
1697), J. Regius (Carlesius verus Spinozismi archilectus, Leeuwarden, 1718),<br />
Wolff (De differentia nexus rerum..., Halle, 1724). Contre cette complicité,<br />
Fr. Lamy (Le Nouvel Athéisme renversé, Paris, 1696, p. 454 sq.), Ruardus<br />
Andala (Carlesius verus spinozismi eversor..., Franeker, 1719) et le cardinal<br />
Gerdil (Recueil de IV8<br />
dissertations..., Paris, 1760, dissertation, p. 215).<br />
Sur les réfutations cartésiennes de Spinoza et en particulier sur Lamy et<br />
Gerdil, cf. Albert Balz (The Philosophical Review, t. 46, p. 461 sq., sep<br />
tembre 1937).<br />
(2) Il serait curieux d'étudier les rapports de Voltaire et d'Aubert de<br />
Versé (idée de tolérance, question des quakers, etc.). Soulignons qu'au cours<br />
de son premier voyage de Hollande en 1713, il connaît M""> Dunoyer,<br />
l'aventurière qui continue la rédaction des Nouvelles solides et choisies, à<br />
laquelle avait collaboré Aubert de Versé.<br />
(3) L'Impie convaincu (p. 221-222) : à propos du « In rerum natura,<br />
nullum datur contingens » (Ethica, 1, prop. 29), il avoue que Spino/a se<br />
doit de faire voir «que la liberté est une chose impossible et contradictoire »,<br />
sans essayer de fonder lui-même une doctrine de la liberté.<br />
(4) Clauberg, De cognitione Dei el noslri (1656); cf. Bouillier, op. cit.,<br />
t. I (p. 299). Geulincx mort en 1669 est connu par une Ethica posthume<br />
(Amsterdam, 1696)<br />
souvent rapprochée de Spinoza et qui précise un ensei<br />
gnement célèbre à Louvain et à Leyde (cf. Bouillier, op. cit., t. I,chap. XIV,<br />
et Gustav Saintleben, Geulincx, ein Vorgùnger Spinosas, Halle, 1885,<br />
in-8°).<br />
" "<br />
(5) L'Impie convaincu, p. 11 et 125.