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LA QUERELLE DE <strong>SPINOZA</strong> : « L'ÉTHIQUE » 225<br />
le combat change d'aspect et nous comprenons mieux le rôle<br />
joué par l'Éthique en cette fin de siècle : Spinoza n'est pas<br />
attaqué pour lui-même et sa doctrine n'est pas objectivement<br />
étudiée; grâce à Leibniz et à la Compagnie de Jésus, qui repré<br />
sente en France le plus solide bastion anticartésien (1), la que<br />
relle de Spinoza apparaît de plus en plus comme un épisode de<br />
la querelle de Descaries. Bien souvent chez les cartésiens, nous<br />
sentirons le désir de désavouer une parenté odieuse, le besoin<br />
d'éclairer les différences originales des deux doctrines et même<br />
de les exagérer; mais quelle objectivité leur demander lorsque<br />
leur sort personnel et l'avenir de leur enseignement sont en<br />
jeu? Chez leurs ennemis au contraire, Spinoza apparaît comme<br />
le terme nécessaire d'une évolution de la pensée cartésienne et<br />
ce sont toujours les sinistres références de l'Éthique qui sont<br />
opposées ou suggérées à Malebranche.<br />
Faut-il en déduire que l'interprétation de Spinoza sera tou<br />
jours systématiquement faussée? Nous ne le croyons pas. L'obs<br />
curité de l'Éthique, qu'invoquent tous les réfutateurs, n'est sou<br />
vent qu'un paravent commode et une invite à la prudence;<br />
nous ne pouvons croire aisément sur parole ces lecteurs stu<br />
dieux de Tertullien et de saint Augustin. Or, cette doctrine,<br />
par sa force propre, dans la mesure même où une faction l'op<br />
posait à Descartes quand une autre la rapprochait de lui, consa<br />
crait aux yeux de tous l'éclatement du cartésianisme. Cette dis<br />
persion, visible en Hollande avec le lecteur de Leyde Geulincx<br />
et en Allemagne avec Clauberg, s'étale dans les polémiques<br />
d'Arnauld et de Malebranche sur la théorie des idées, le pre<br />
mier tirant Descartes vers l'empirisme, le second vers l'idéa<br />
lisme de la vision en Dieu (2). Mais pendant que Malebranche<br />
et Fénelon essaient de voler de leurs propres ailes, les esprits<br />
mineurs hésitent : Huet, fervent cartésien à Caen, rompt avec<br />
son maître, et sa Censura philosophiae cartesianae en 1689 scelle<br />
pondérant joué par Leibniz dans cette lutte anticartésienne est bien mis<br />
en valeur par Bouillier (op. cit., t. II, p. 415) et surtout par Friedmann<br />
(op. cit., p. 96 sq.). Cette intention est plus visible encore dans les lettres à<br />
Philipp de janvier 1680 (édit. Gerhardt, t. IV, p. 283 et 285) et à Molanus<br />
(ibid., t. IV, p. 268).<br />
Leibniz compte d'ailleurs sur la Compagnie de Jésus dans sa lutte<br />
(1)<br />
anticartésienne (cf. Friedmann, op. cit., p. 105, et édit. Gerhardt, t. IV,<br />
p. 346 et 349). Pour reprendre le mot de Friedmann (op. cit., p. 111), Spi<br />
noza est aussi bien pour les anticartésiens français que pour Leibniz « le<br />
boulet qu'on attache à Descartes pour plus sûrement le couler ».<br />
(2) La rupture se consomme en 1683 avec le Traité des vraies et des fausses<br />
idées d'ARNAULD (Cologne, 1683; cf. Œuvres philosophiques d'ARNAULD,<br />
édit. Jourdain, Hachette, 1843, p. 347 sq.).<br />
F. VHRN1ÈHE, I<br />
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