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60 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
par la piété, mais il refuse la hautaine suprématie de la philo<br />
sophie : « Ce n'est pas là le but du Saint-Esprit qui se révèle,<br />
non de la manière qu'il le faudrait pour satisfaire la vaine curio<br />
sité des savants, mais de la manière qui est nécessaire pour<br />
sanctifier les hommes ». (1) Il refuse de se laisser porter sur le<br />
terrain de la philologie et de l'histoire; non pas tant parce qu'il<br />
en est incapable, mais parce que, fidèle à l'esprit de la Réforme,<br />
c'est dans l'illumination intérieure et l'assentiment de sa cons<br />
cience qu'il découvre l'authenticité des Écritures. Or, tout est<br />
divin dans cette œuvre de tant de siècles; au rythme des pro<br />
phéties, toute une évolution humaine s'y annonce et s'y réa<br />
lise; une trace continue, celle « de la douceur, de la piété, du<br />
désintéressement » : « on y trouve les doutes de la raison éclaircis<br />
et les mouvements de la conscience satisfaits ». (2) Il ne faut<br />
donc pas s'attendre à ce qu'Abbadie discute avec Spinoza la<br />
validité des prophéties et des miracles. On ne discute pas des<br />
faits. Rien ne lui paraît plus ridicule que la réduction spino<br />
ziste du miracle à une cause naturelle : que dire d'une verge<br />
changée en serpent devant des milliers de témoins? Tout un<br />
peuple a vu et cru et n'aurait pu laisser s'accréditer des impos<br />
tures. Même utilisation des vraisemblances psychologiques de<br />
vant les prophéties. Spinoza prétend que les prophètes ont parlé<br />
selon leur intérêt, leur éducation et leur tempérament. Mais tout<br />
prouve le contraire, les persécutions dont ils ont été l'objet,<br />
les nations ennemies dont ils prédisent le succès. C'est Moïse<br />
monothéiste qui converse avec les anges sans pouvoir expliquer<br />
leur présence et leur mission; c'est Isaïe qui contre la tradition<br />
générale du messianisme annonce le Christ souffrant, l'homme<br />
de douleur et non le roi temporel (3). Mais sur deux points<br />
précis, Abbadie fait face à Spinoza : la corruption du texte<br />
biblique et l'établissement tardif du canon des Hébreux.<br />
Là commence sa première erreur : pourquoi accepter la lutte<br />
sur un terrain où il se sent désarmé? Devant les exigences phi<br />
lologiques de Spinoza, comment se satisfaire d'évidences dou<br />
teuses et d'approximations? Pourquoi ne coupe-t-il pas court,<br />
comme le fera Bossuet, en se bornant à sa conclusion dédaigneuse :<br />
« Son traité n'est, à parler comme il faut, qu'un égarement perpé<br />
tuel. Car qu'est-ce qu'un livre où l'on ne fait qu'entasser quel<br />
ques difficultés, sans examiner une seule de nos preuves (4)? »<br />
(1)<br />
(2) Ibid.,<br />
(3) Ibid.,<br />
(4) Ibid.,<br />
Traité de la vérité... (p. 324).<br />
p. 202-203.<br />
p. 450.<br />
p. 298.