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LA PÉNÉTRATION DU SPINOZISME 113<br />
mais ne fut jamais en rapport avec Leibniz et qui dès 1673,<br />
auprès du Père Lecointe, bibliothécaire de l'ordre, réunit pour<br />
son Histoire critique du Vieux Testament une importante docu<br />
mentation spinoziste. Autre témoignage moins connu, les notes<br />
de lectures du Père Louis Thomassin conservées à la bibliothèque<br />
de Carpentras (1), et qui font état d'une connaissance précise,<br />
antérieures à 1678, de l'édition princeps du Tractatus, prouvent<br />
qu'un exemplaire en fut accessible très tôt rue Saint-Honoré, où<br />
le savant oratorien était maintenu en réclusion depuis 1668 à la<br />
suite de ses aventureux Mémoires sur la grâce.<br />
Mais l'année 1678 allait marquer une ère nouvelle dans la diffu<br />
sion du spinozisme en France : non seulement les ouvrages de<br />
Richard Simon en 1678 et de Huet en 1679 attaquaient ouverte<br />
ment l'ouvrage impie et en signalaient l'existence auprès du<br />
public cultivé, non seulement les Opéra Posthuma, au lieu d'être<br />
anonymes comme le Tractatus, attiraient l'attention par les ini<br />
tiales de l'auteur et par l'importante préface des éditeurs, mais<br />
surtout une remarquable traduction aux titres mystérieux et<br />
alléchants tentait de vulgariser en France la doctrine du Trac<br />
tatus. Très rapidement, la Clef du sanctuaire et le Traité des céré<br />
monies superstitieuses des Juifs se répandirent. En mai 1679 à<br />
Sedan, Pierre Bayle a lu l'ouvrage dont il ne connaît l'original<br />
latin que par ouï-dire (2). Mais dès l'année précédente, Louis<br />
Thomassin en donnait un résumé de quatorze pages extrêmement<br />
curieux par le mélange de sympathie et d'effroi qu'il reflète; les<br />
erreurs y sont nombreuses : l'Oratorien fait mourir Spinoza à<br />
Amsterdam et le croit catholique romain. Mais il décèle déjà<br />
les sources cartésiennes, apprécie les notes ajoutées par Saint-<br />
Glain, vante l'excellence de la traduction, suppute le danger de<br />
cette nouvelle religion intérieure fondée sur la justice et la<br />
charité (3).<br />
(1) Bibliothèque de Carpentras,<br />
ms. n°<br />
1.694, fol. 112 (du folio 85 à 118,<br />
notes de lectures échelonnées de 1674 à 1678; cf. fol. 89 verso : « cejourd'hui,<br />
31 octobre 1674 »; du folio 112 à 118,<br />
compte rendu de la traduction fran<br />
çaise avec comparaison avec l'original latin : « pour moi, j'estime autant la<br />
traduction que l'original »).<br />
(2) Œuvres diverses, t. IV, p. 574 (lettre à Minutoli du 26 mai 1679).<br />
n"<br />
(3) Carpentras, ms. 1.694, fol. 112 : » Ce livre a été composé en latin<br />
le titre de Tractatus theologico-polilicus par un nommé Spinoza, Juif<br />
d'Amsterdam qui se fit catholique romain et qui est mort à Amsterdam<br />
en février 1678, n'ayant aucune religion, ainsi que son livre en fait foy.<br />
Celui qui a traduit ce livre y a fait des remarques très bonnes et il est entré<br />
dans les sentiments de l'auteur qu'on dirait qu'il a plus tost composé que<br />
traduit; pour moy, j'estime autant la traduction que l'original; l'auteur de<br />
ce livre est un grand cartésien et un grand raisonneur... cela est dangereux<br />
pour un jeune esprit qui n'est pas trop solide et qui est porté au libertinage<br />
et qui n'est pas prévenu contre la doctrine de cet auteur qui donne tout à<br />
Y. VERNIÊRE, X S