You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
LA QUERELLE DE <strong>SPINOZA</strong> : « L'ÉTHIQUE » 227<br />
suet sur l'opportunité du silence et ne s'être jamais exagéré<br />
l'urgence du danger. D'autres querelles essentielles les sollicitent<br />
dont l'enjeu temporel est plus évident : les déviations jansé<br />
nistes de l'augustmisme, les nouveautés cartésiennes de Port-<br />
Royal et de l'Oratoire;<br />
Spinoza en revanche ne compromet<br />
aucun intérêt majeur de la Compagnie, n'inspire aucune secte,<br />
n'entache l'enseignementidîaucun collège. Spinoza ne sera jamais<br />
comme Descartes l'objet des plaisanteries du Père Daniel (1),<br />
le point de mire d'attaques savamment concertées et éche<br />
lonnées tout au long du siècle; Spinoza ne verra pas se dresser<br />
contre lui une réfutation en forme comme celle de Malebranche<br />
par le Père Dutertre (2). Parmi ses Alhei detecli (3), le Père<br />
Hardouin place Pascal, Descartes et Malebranche, mais oublie<br />
Spinoza dont l'athéisme est voyant pour trop être dangereux.<br />
Mais cette discrétion vient aussi de l'intérêt modéré que mani<br />
feste la compagnie pour les spéculations philosophiques; ses<br />
meilleurs esprits vont aux belles-lettres, comme les Pères Rapin<br />
et Bouhours, ou se consacrent à la direction des grands comme<br />
confesseur du roi. La Compagnie d'ailleurs<br />
le Père de La Chaise,<br />
n'a pas de doctrine propre. Engagée depuis sa fondation avec<br />
la philosophie de > l'École, elle utilise sans aucune ferveur Aristote<br />
dans sa lutte contre Descartes (4), mais accueille aussi<br />
l'empirisme de Gassendi (5) et le scepticisme des dernières années<br />
de Huet. Aussi agira-t-elle par personnes interposées et faudra-<br />
t-il attendre la fin du règne pour voir le Père de Tournemine<br />
préciser l'attitude de -son ordre en face de Spinoza et reprendre<br />
avec quelque ampleur des accusations de Leibniz.<br />
iDepuis la fin de son préceptorat en 1680 et l'échec relatif<br />
auprès de l'opinion cartésienne de sa Demonslralio evangelica,<br />
nanti en 1678 de l'abbaye d'Aunay,puis en 1689 de l'évê-<br />
Huet,<br />
ché d'Avranches,<br />
était très en faveur auprès des beaux esprits<br />
(1) Le Voyage du monde de Descartes (Paris, 1690) et Lettres d'un péripalêticien<br />
à l'auleur.d'un voyage deiDescartes, touchant la connaissance des bêtes<br />
(Paris, 1693).<br />
(2) Réfutation d'un nouveau système de métaphysique proposé par le Père<br />
Malebranche (Paris, 1715, 3 in-12).<br />
(3) In Opéra Varia (Amsterdam, 1733, in-folio).<br />
(4) Cf. Bayle, Recueil de quelques pièces curieuses concernant la philoso<br />
phie de M. Descaries (Amsterdam, Henri Desbordes, 1684, p. 1 : concordat<br />
entre les Jésuites et les Pères de l'Oratoire de septembre 1678; p. 12 : énu-<br />
mération de sept opinions cartésiennes interdites et remplacées par les<br />
notions aristotéliciennes de formes substantielles, d'accidents réels et abso<br />
lus inhérents à leur sujet, etc.).<br />
(5) Cf. Bouillier, op. cit., t. I, p. 572 (opinion du Père Daniel sur Gas<br />
sendi : > Il paraît être un peu pyrrhonien en métaphysique, ee qui, à notre<br />
avis, ne sied pas mal à un philosophe »).