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SPINOZA

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52 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />

l'athée hypocrite (1). Ce qui fait la valeur d'une telle attaque,<br />

c'est sa spontanéité; Poiret n'a lu aucune réfutation, ne suit<br />

aucun maître et du moins dans cette première passe d'armes se<br />

laisse guider beaucoup moins par sa raison que par son intuition<br />

psychologique. Un fait s'impose : Spinoza ment. Trois aspects<br />

généraux condamnent l'Éthique, aspects d'ailleurs liés : d'abord<br />

l'impiété évidente qui couvre de mots sacrés des notions vagues<br />

où l'on ne sent vivre aucune foi, aucun amour sincère de Dieu.<br />

Ensuite, le système de l'Éthique se fonde uniquement sur l'abus<br />

de termes, sur le gauchissement du sens des mots; qu'il définisse<br />

Dieu, l'âme ou une passion, rien n'est conforme au sens commun;<br />

la clef de l'a Éthique », c'est que la langue de Spinoza est une<br />

langue inconnue jusqu'à ce jour : « Haec est clavis intelligentiae<br />

scriptorum Spinozae sine qua in iis vix capies quicquam (2) »;<br />

mais cette langue n'exprime aucune réalité et son agencement<br />

géométrique est une duperie (3). Enfin, chose beaucoup plus<br />

grave pour le chrétien, l'œuvre de Spinoza est une œuvre d'orgueil;<br />

avec beaucoup de tact, Poiret décèle chez le philosophe de La<br />

Haye, comme Pascal chez Descartes, l'incoercible libido sciendi<br />

de l'intellectuel qui fait de son esprit la mesure de la vérité.<br />

Or, il n'est pas de pire péché que cette croyance à la puissance<br />

intellectuelle de l'homme qui, se jugeant capable de saisir Dieu<br />

et le monde, prétend assumer de soi-même son bonheur et son<br />

salut. Et d'un mot, il caractérise cette idolâtrie nouvelle de<br />

l'homme pour l'homme : la béatitude n'est pas dans la contem<br />

plation de sa propre puissance (4). Ainsi Poiret, dans cette esquisse<br />

où il se révèle beaucoup mieux que dans une discussion précise,<br />

conteste à la fois dans l'Éthique la méthode d'exposition, l'effi<br />

cacité morale et la sincérité même des intentions. Sous des<br />

dehors probes et loyaux, jamais Spinoza ne devait subir assaut<br />

plus violent et somme toute plus injurieux que de la part de<br />

notre bénin inquisiteur (5).<br />

C'est alors la théodicée de Spinoza qu'il se met en devoir de<br />

réfuter tout au long des marges de ses Pensées raisonnables. On<br />

(1) Cogilaliones ralionales (p. 83) : « praecipuam Ethices atque ejus<br />

operum posthumorum partem legeram ut semper supponerem eum rêvera<br />

proflteri Deum neque Atheum esse sed Deistam ».<br />

(2) Ibid., p. 80.<br />

(3) Ibid., p. 74 : a Mathematicae veritatis seu certitudinis larva », un<br />

fantôme de vérité et de certitude mathématique.<br />

(4) Ibid., p. 75 : « propriam potentiam suam contemplari atque in hoc<br />

beatitudinem suam collocare voluit ».<br />

(5) Ibid., p. 76. Il insiste sur l'ingéniosité satanique de Spinoza; indus<br />

trieux et venimeux comme une « araignée, exitiosa sua Atheismi ûla geometrico<br />

more cacavit et connexuit ».

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